Le diagnostic en psychiatrie

psychiatrie_diagnostic_cerepphymentin.png

Essor des simplifications diagnostic et nécessité d'un bilan psychologique complet sous peine d'étiqueter hâtivement un patient. Une évaluation mentale qui « engagera pourtant l'existence du patient, ses comportements, sa représentation de lui-même, son corps s'il reçoit un traitement.»

 

Un ou deux entretiens semblent suffire à certains professionnels pour établir une appréciation « complète ». Des constats grossiers mais opératoires, rapides et faciles à comprendre par le patient, des pratiques hautement rentables, assistons-nous aujourd'hui à la désubstantialisation de la psychiatrie? L'exigence d'efficacité de l'hypermodernité détruit-elle la singularité de chacun?

La preuve par l'exemple : autisme Asperger et bipolarité

Je n'avais pas revu Florian, depuis plusieurs mois. Je savais qu'il traversait une période difficile. Il s'était d'ailleurs beaucoup isolé de ses amis et j'étais donc heureux qu'il ait accepté mon invitation à nous retrouver dans un café. Nous évoquions les derniers évènements de nos vies, quand percevant son désarroi, je m'autorisais à lui demander comment il allait:

" Oh, il se passe des choses...

- De quel genre?

- On m'a diagnostiqué un autisme Asperger.

- Pardon?

- On m'a diagnostiqué un autisme Asperger.

-J'avais entendu. C'était un pardon de stupéfaction.

-Qu'est-ce qui a pu laisser penser à un clinicien que tu souffres d'autisme?

-J'ai des intérêts très restreints et circonscrits qui sont anormaux dans leur intensité ou leur orientation.

-...

- J'ai une tendance marquée à fuir le regard direct et à éviter les contacts physiques.

- Oh mais attends! Tu me cites le DSM IV!

- C'est tout à fait moi.

- Tu évoques le manuel de classification des troubles mentaux, pas un test dans Elle! Qui t'a diagnostiqué et comment?

- Dr X, un psychiatre. Il m'a fait passer un entretien quand j'étais pas bien et a déterminé illico que j'étais autiste Asperger."

Abasourdi, j'ai demandé à mon ami si je pouvais rédiger une tribune en prenant nos propos pour introduction. Il a accepté. Cet échange illustre une problématique dangereuse à laquelle je suis de plus en plus fréquemment confronté dans ma pratique hospitalière et dont mes confrères rapportent chaque jour des témoignages troublants.

A l'hôpital Robert Debré, je reçois des adolescents en souffrance qui peuvent bénéficier d'une assistance psychothérapeutique. Lorsque ces patients me sont adressés de l'extérieur, je suis souvent perplexe lorsque j'apprends, de leur bouche ou de celle de leurs parents, qu'ils souffrent de psychose maniaco-dépressive (PMD) ou d'autisme Asperger, ce que contredit d'ailleurs la plupart du temps un travail approfondi avec les jeunes. Ces deux pathologies sont citées si souvent qu'elles occultent toutes les autres, bénignes ou plus inquiétantes, et laisseraient même envisager une augmentation de leur fréquence dans la population mais je ne connais pas d'étude statistique confirmant cette hausse.

Précisons que la PMD réclame une prise en charge médicale et psychologique complète pour stabiliser l'humeur du patient et atténuer ses angoisses, que les médicaments sont indispensables et provoquent parfois des effets secondaires non négligeables. Concernant l'autisme Asperger, s'il n'existe pas de médicaments pour le soigner, certains symptômes associés peuvent tout de même nécessiter un traitement (les fameux TDAH...) De plus ce trouble impose la plupart du temps l'implication d'éducateurs spécialisés et d'orthophonistes pour aider la personne à vivre avec son handicap. Notons qu'il a été supprimé du DSM V.

Malgré les ressources matérielles conséquentes qu'engagent l'accompagnement de ces pathologies, leur complexité symptomatique, leurs ressemblances avec d'autres entités nosographiques, les diagnostics sont la plupart du temps effectués sans qu'un bilan psychologique complet (avec évaluation cognitive et psychoaffective) eut été réalisé. Non, un ou deux entretiens semblent suffire à certains professionnels pour établir une appréciation "complète". Des constats grossiers mais opératoires, rapides et faciles à comprendre par le patient, des pratiques hautement rentables, assistons-nous aujourd'hui à la désubstantialisation de la psychiatrie? L'exigence d'efficacité de l'hypermodernité détruit-elle la singularité de chacun?

L'évaluation mentale engagera pourtant l'existence du patient, ses comportements, sa représentation de lui-même, son corps s'il reçoit un traitement. L'étiquette psychopathologique influence considérablement le mode de vie de ceux qui la reçoivent et finissent fréquemment par se conformer à ce qu'ils se figurent être parce qu'un "supposé savoir" le leur a affirmé. Nombre de psychologues et de psychiatres ont dénoncé avec justesse l'augmentation des prescriptions d'antidépresseurs et d'anxiolytique avec la montée de la psychiatrie biologique. L'essor des simplifications diagnostic interroge avec plus d'urgence encore les relations sulfureuses entre le soin mental et l'industrie pharmaceutique, la formation des médecins, les habitus cliniques par lesquelles transite l'éthos d'une société entière.

Les psychanalystes ont longtemps livré une bataille, humaniste, fondamentale, pour libérer les patients des diktats anatomistes de la psychiatrie biologique et des approches comportementalistes trop rigides. "Tout est dans la structure", disait Lacan, pour rappeler que nous sommes tous un mélange singulier de névrose, de psychose, de perversion, que notre personnalité s'édifie sur une alchimie à chaque fois unique. Même si certains analystes ont pêché par oubli de la réalité organique de certaines pathologies, ils ont contribué à ce que l'individu puisse affirmer son Désir, sa personnalité, son langage, sa créativité, la nécessaire marginalité de son être-au-monde. On ne peut qu'être inquiet lorsque l'on contemple l'étendu du vocabulaire psychopathologique se réduire poignée de costumes morbides "tendances".

Un psychologue clinicien qui reçoit son patient sera toujours prudent lorsqu'il délivrera un diagnostic. Certains accompagnent d'ailleurs de nombreux mois une personne sans jamais lui dévoiler leurs hypothèses : parce qu'ils engagent leur responsabilité, que le soin psychique a pour but de libérer une parole et non d'enfermer dans une case, parce que les symptômes, qui évoluent souvent dans le temps, importent moins que l'histoire intime du sujet. Généralement, seules les pathologies les plus lourdes nécessitent que le patient dispose de la meilleure connaissance lorsqu'il en est affecté pour permettre son éducation thérapeutique.

Je ne prétends évidemment pas que tout diagnostic de PMD ou d'autisme Asperger est nécessairement faux. J'affirme en revanche que la labilité émotionnelle, la difficulté de contact avec les autres, l'hypersensibilité, peuvent appartenir à des psychés dites normales et que des explosions symptomatiques sévères peuvent survenir à différents moments de la vie sans engager un diagnostic psychiatrique. Une approche différentielle réclame que l'évaluateur fasse preuve de vigilance, de patience et de rigueur et ne se précipite pas sur un diagnostic aussi facile à prononcer qu'il sera difficile à endurer par le patient. Identifier un état pathologique grave réclame plusieurs entretiens, parfois séparés par plusieurs mois d'intervalles. Mieux, la passation d'un examen psychologique permet d'aborder avec suffisamment d'exactitude et de fiabilité la structure psychique. Je vous invite à toujours compléter l'opinion d'un médecin traitant sur votre psychisme par celles des professionnels de la santé mentale.