Le lien à l’épreuve du confinement

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Un article rédigé par Sandrine Clergeau, Christine Ascoli-Bouin et Jean-Pierre Benoit pour la revue Enfances&Psy...

Les professionnels de l’enfance et de l’adolescence témoignent des effets du confinement sur ceux dont ils ont la charge.
 

La crise sanitaire liée à la COVID-19 nous a tous surpris, saisis, pris au dépourvu, créant une situation inédite sans autre équivalent chez nos contemporains. Partagée dans le monde entier, elle a conduit notre pays à se confiner pendant presque deux mois. Deux mois… Cela peut paraître court, presque rien, et pourtant… tant de conséquences ! Nous saisissons peu à peu les effets sans bien mesurer encore leur ampleur définitive. D’autant qu’à l’heure où nous écrivons, nous nous interrogeons sur le temps à employer pour présenter ces articles centrés sur la phase de confinement : Au passé ? Au futur ? Au présent ?

Est-ce derrière nous ? Pouvons-nous être sûrs que la menace d’une seconde vague ne s’accompagnera pas d’un nouvel isolement généralisé ? Déjà nous assistons à la fermeture de certains lieux (classes, commerces, lieux culturels, sportifs ou de convivialité…) et de plus en plus de personnes se retrouvent « cas contact » devant se claustrer de nouveau. Les angoisses flambent face à ce virus qui gagne du terrain et se rapproche dangereusement de la sphère personnelle. Pour certains, le confinement se réactualise et se conjugue au présent. André Carel, interviewé par Christine Ascoli-Bouin, propose d’envisager cette crise selon trois modalités potentielles : l’épreuve, le traumatique névrotique et la catastrophe.

La situation actuelle éclaire ô combien la période d’isolement a pu, ou peut être vécue de manière très différente voire opposée ou paradoxale. Simeng Wang compare la traversée de cette étape par les enfants chinois de France et ceux vivant en Chine.

Étymologiquement, confiner signifie « enfermer », « forcer quelqu’un à rester dans un espace limité » (A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris).

 Cela sous-entend, d’emblée, deux éléments potentiellement contradictoires : la privation de liberté et la protection. Qui protège-t-on lorsqu’on est confiné ? Soi-même ou les autres ? Et de quoi se protège-t-on ? Même si elle n’est jamais nommée, c’est l’angoisse de mort qui plane au-dessus de nos têtes. Dès le début de l’épidémie, ces questions se sont posées pour les enfants et les adolescents qui étaient peu symptomatiques, mais que l’on a confinés les premiers, car ils étaient considérés comme « porteurs sains potentiels » du virus. Catherine Legrand-Sébille nous éclaire sur la mise à mal des rituels qui entourent habituellement un deuil et sur la manière dont les plus jeunes réinventent une narration du tragique nécessaire.

Quelles traces a laissées cette période de confinement chez eux et leur entourage ? Dans la plupart des cas, il semblerait que l’enfermement ait été vécu comme salutaire dans la lutte contre l’épidémie, objet phobique collectif désigné. Émilie Garcia Ballester en témoigne au travers d’une vignette clinique. Ainsi, le retour à la vie déconfinée éveillait de nouveaux espoirs, mais aussi de nouvelles angoisses, celles de ne plus être protégés du dehors. Quel que soit le domaine d’intervention, c’est l’équilibre entre bénéfices et risques liés au confinement puis au déconfinement qui s’est posé. Qu’est-ce que chacune de ces situations est venue prévenir mais aussi empêcher ou provoquer ? En d’autres termes, c’est la question des enveloppes qui est soulevée : qu’est-ce qui contient ? Qu’est-ce qui soutient ? Qu’est-ce qui enferme ? Comment se protéger du dehors (épidémie) quand parfois le danger est à l’intérieur ?

Notre numéro met à l’honneur les professionnels de l’enfance qui ont été contraints d’inventer des manières de maintenir des liens avec les familles pour y amener de l’autre, du différent, du tiers, du dehors, de l’instruction, des apprentissages, des soins… ; eux-mêmes confinés dans leur intérieur et devant se mobiliser à l’extérieur. Des professeurs de collège (Carine Chagneau, Rodolphe Keller, Cécile Lemarchand, Bruno Porret, Tamara Stumpflen) expliquent les différentes phases qu’ils ont dû affronter et surmonter pour continuer d’enseigner à leurs élèves. Comment faire exister d’autres limites dans ces espaces clos où tout se superpose : l’école, les loisirs, les soins, les repas, les parents, les enfants, les nuits et les jours… ? Quelles frontières volent en éclats lorsque l’on est contraint de s’enfermer ensemble ? Pas d’échappatoire possible, tous ensemble physiquement, parfois dans une promiscuité complète pour les familles mal logées. Les médias et les réseaux sociaux ont grandement relayé les risques accrus de violences conjugales et de violences faites aux enfants. Ce sont ces contextes qui nous font réaliser à quel point le travail de prévention est précieux et comment il permet de faire tenir ensemble des familles parfois bancales. Augusta Bonnard, Raphaël Eddine, Léa Conversy, Romain Dugravier (Centre de psychopathologie périnatale Boulevard Brune) et Élie Azria (Maternité de Saint-Joseph) détaillent les outils qu’ils ont été amenés à créer pour repérer et prévenir les fragilités postnatales des retours au domicile sans étayage concret du fait de l’isolement épidémique. À l’autre bout de la chaîne de la prévention, Violaine Blain, directrice d’Allo 119, rend compte du travail du service d’écoute « Enfance en danger » durant cette période.

Lorsque nous parlons d’espaces enchevêtrés, il s’agit d’un point de vue spatial, certes, mais aussi d’un point de vue psychique : intime/privé/public, les frontières n’ont jamais été aussi ténues, aussi fragiles. Un appel en audio ou en visio et nous sommes plongés dans le huis clos familial avec des parents en tenue d’intérieur, des enfants qui crient, se disputent, et un cadre d’entretien qui nous échappe complètement. Taoufik Adohane, psychologue en pmi dans des quartiers socialement pauvres ou encore Olivia Farkas, psychologue en libéral, évoquent avec une grande humilité leur engagement auprès des familles ou des patients dans l’objectif de ne surtout pas perdre le lien : « élasticité du fil thérapeutique », aménagement du cadre, malléabilité, tout ceci a été rendu possible grâce à la créativité des professionnels qui ont cherché au plus vite à sortir de la sidération imposée par la situation et à se mettre au service des enfants. L’équipe d’un hôpital de jour pour enfants autistes, à travers les voix de Marie-Noëlle Clément et d’Olivier Duris, rend compte du travail institutionnel réalisé durant cette période : comment permettre que le collectif ne se résume pas à une cacophonie et que les divergences ne se transforment pas en conflits ? À l’inverse, dans le service de Clémentine Rappaport, l’équipe de pédopsychiatrie s’est tout de suite relevé les manches pour venir prêter mains fortes aux équipes hospitalières covid dont les espaces ont gagné tout l’hôpital. Témoignage et analyse illustrés…

Peut-on tirer du positif de ces expériences inédites et parfois douloureuses ? C’est la gageure de ce numéro. Comme toute crise, celle-ci nous enseigne. Elle nous oblige à revisiter nos connaissances sur les enfants et les familles : quelles ressources ont-ils mobilisées pour permettre un réaménagement pulsionnel entre les investissements narcissiques et libidinaux, entre le pour-soi et l’autre ? Emmanuelle Boë, Marie Gilloots et Anne Perret suggèrent de recourir au concept de « latence généralisée » pour les adolescents et leurs parents. Bernard Golse utilise sa théorisation sur la relation d’objet pour évoquer comment les séances par téléphone se rapprochent et se différencient des séances de cure analytique classique. Laurence Knera-Renaud, quant à elle, propose, à travers la poursuite d’un travail familial, que le confinement a agi comme une « contrainte de symbolisation ».

Le lecteur l’aura donc compris, c’est un numéro « à chaud » que nous lui proposons. Les professionnels qui y ont contribué sont à remercier chaleureusement. C’est avec beaucoup de courage et d’engagement qu’ils ont accepté d’écrire. Leur participation, loin de se limiter à un simple témoignage, constitue une véritable analyse et une véritable réflexion de leur place. Alors que nous étions tous sidérés, tentant de ne pas nous laisser envahir par nos propres angoisses, nos auteurs ont cherché à aller plus loin, au-delà du réel de la situation, pour nous offrir des images, des représentations, et de la pensée qui soignent. Preuve que la psyché n’est pas prête de se laisser confiner.

Les auteurs :

►Sandrine Clergeau, psychologue, psychothérapeute, clergeausandrine@gmail.com

►Christine Ascoli-Bouin, psychologue clinicenne, ancienne directrice du Copes, christine.ascolibouin@copes.fr

►Jean-Pierre Benoit, psychiatre, chef de pôle pédopsychiatrie-cddictologie, Centre hospitalier de Saint-Denis, jeanpierre.benoit@ch-stdenis.fr