Pas d'investissements supplémentaires, des ressources budgétaires allouées par " compartiments " et des injustices pour les patients : appel à la mobilisation...
L'article 34 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2020, portant sur la réforme du financement de la psychiatrie, doit entrer en application à partir du 1er janvier 2022. Cet article prévoit d’abandonner le mode de financement actuel par « dotation annuelle de financement », aussi appelée « enveloppe globale » qui consiste à allouer une somme d’argent chaque année à chaque établissement.
Cette réforme de financement prévue par l'article 34 ne prévoit pas d’investissement supplémentaire pour la psychiatrie, elle s’effectue à enveloppe fermée. Il s’agit d’une nouvelle répartition des ressources budgétaires, par « compartiments », contenant des critères à réévaluer chaque année.
Parmi ces compartiments :
⦁ La dotation populationnelle, calculée en fonction notamment du nombre de « mineurs » et de personnes en situation de précarité (représenterait environ 70% du financement) ;
⦁ La dotation file active (15% du financement) qui dépendrait du nombre total de patients reçus au moins une fois dans l’année ;
⦁ Plusieurs compartiments complémentaires, entre autres : qualité (non des soins mais des procédures), codification des diagnostics et des actes, nouvelles activités et recherche (chacun vaut 1 à 1.5% du financement).
Voici quelques conséquences immédiates de la réforme, transmises par les membres de la « Task Force » qui rédigent actuellement les décrets d’application de l’article 34 :
⦁ Le financement du compartiment géo-populationnel sera bas pour les régions considérées comme bien dotées en offre médico-sociale et libérale, plus élevé dans les régions considérées comme moins dotées. En effet, les « soins » psychiatriques devront êtres les plus courts possibles, et les patients ré-orientés rapidement vers le libéral et le médico-social ;
⦁ Pour les patients majeurs, il est prévu que le financement se réduise à environ un tiers de ce qui est prévu avant 18 ans.
⦁ Le financement de la dotation file active prévoit que le financement augmente en même temps que le chiffre de file active. Ce principe favorise automatiquement les pratiques courtes et ponctuelles et pénalise, voire empêche à terme, les prises en charge réellement thérapeutiques des personnes présentant des pathologies compliquées.
Les lieux de soin au long cours, ceux qui traitent les personnes les plus en souffrance, présentant les symptômes psychiatriques les plus complexes, se trouvent ainsi appelés à transformer leurs pratiques. Plus question de soigner ces patients, seulement de les orienter (vers où puisqu’il n’y aura plus de lieux ?) après les avoir reçus ponctuellement pour des bilans…
La mise en péril des lieux de soin au long cours va fragiliser l'ensemble du réseau de soins psychiatriques: les lieux d’hospitalisation temps plein (secteurs et CHU) n’auront plus de lieux où adresser les patients dans les suites immédiates des soins en aigu, les établissements médico-sociaux seront submergés de demandes, les secteurs et les intersecteurs n’auront plus, non plus, de recours pour les patients ayant besoin de prise en charge institutionnelle.
Le mode de financement proposé dans l'article 34 met en péril les prises en charge des patients les plus en souffrance, de l’enfance à la vieillesse, ceux dont les troubles nécessitent des prises en charge quotidiennes et pluridisciplinaires. Le financement tel qu’il est conçu ne prévoit pas de financer le soin, mais la recherche sur le soin, sa codification, son évaluation, son organisation par procédures...
Sous couvert d’intégrer au maximum les patients dans les dispositifs de droit commun, il introduit de nouvelles injustices graves, entre autres :
⦁ qu’une personne autiste ou schizophrène naisse ici ou là, la dotation qui lui sera allouée sera différente. La situation actuelle est déjà celle de fortes inégalités territoriales ; mais cette réforme s’effectuant à enveloppe fermée, elle ne fera que déplacer les inégalités.
⦁ Les lieux de soins qui accueillent actuellement des adolescents et jeunes adultes seront fragilisés dès que les patients auront atteint 18 ans, via une perte massive de financement.
⦁ Seuls pourront tirer leur épingle du jeu ceux dont l’amélioration psychique sera rapide. Les patients les plus en difficulté, les plus résistants aux traitements, qui ont besoin de soins fréquents, réguliers et longs, qui excèdent les possibilités d’accueil des dispositifs de droit commun (école, travail ordinaire) ne sont pas pris en considération par cette réforme : pour un grand nombre d’entre eux, ils ne trouveront plus ni praticiens ni lieux de soin.
⦁ Il s’agit d’une remise en question radicale de tout projet de soin collectif, niant le besoin d’inscription institutionnelle d’un certain nombre de nos patients, qui est pourtant l’un des points essentiels des prises en charge des personnes présentant des pathologies complexes.
En psychiatrie nous soignons l'instabilité psychique. Le mode de financement proposé dans l'article 34 programme l'instabilité matérielle, des patients comme des professionnels, et donc psychique. Il ajoutera de la souffrance à la souffrance.
Nous vous appelons à rejoindre cette mobilisation contre la réforme du financement de la psychiatrie.
Loriane Bellahsen, psychiatre cheffe de service du Centre Françoise Grémy – Hôpital de jour Santos-Dumont et Laurent Delhommeau, psychiatre médecin directeur de l’hôpital de jour Gombault Darnaud
►Éclairages et articles concernant la réforme
►Temps de réflexion avec l’association Ecole de Bayen