Art et psychanalyse

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« Écrire un livre ou faire un tableau, c’est comme avoir un enfant » écrivait Vincent van Gogh dans l’une de ses dernières lettres à sa mère...

Vincent Van Gogh : un trouble sévère de l’attachement ?

Professeur émérite de Psychiatrie à l’Université de Montréal, membre de la Société Canadienne de Psychanalyse, Yvon Gauthier s’appuie sur les travaux des biographes de Vincent van Gogh, sur l’abondante correspondance de l’artiste à sa famille et en particulier celle adressée à son frère Théo, sur les nombreuses explications diagnostiques des médecins d’alors, pour avancer à son tour l’hypothèse d’un trouble précoce de l’attachement à la mère.

Enfant obstiné, indiscipliné, qui  de son propre aveu, se sentait rejeté et incompris, « un espèce de personnage  impossible et suspect, quelqu’un qui n’a pas la confiance (…) » (lettre de juillet 1880), adulte toujours menacé de perdre l’affection de ses proches, Vincent van Gogh aurait souffert tout au long de sa vie, dont on connaît la fin tragique, d’un lien insécure et des effets de la dépression maternelle, lui qui était né un an jour pour jour après la naissance d’un enfant mort-né et portant le même prénom que lui.

« Vincent van Gogh est né un an exactement après la naissance d’un frère mort-né que les parents avaient aussi nommé Vincent. Plusieurs de ses biographes (Nagera, 1963; Lubin, 1972; Michel, 2013) considèrent que ce fait serait à l‘origine des problèmes graves qui ont marqué toute sa vie: Vincent aurait été un « enfant de remplacement » qui se serait fait imposer l’image idéale du premier-né et aurait ainsi apporté de grandes déceptions à ses parents, étant incapable de se con-former à cet idéal. Les auteurs de la plus récente biographie de van Gogh (Van Gogh. The Life. Naifeh et Smith, 2011)2 ne retrouvent aucune évidence que ce hasard ait eu une telle importance. Pour eux, cette idée est un fantasme des commentateurs plutôt qu’une réalité. Leur étude des premières années de Vincent fait plutôt ressortir une profonde inadéquation entre un enfant obstiné, indiscipliné et étrange et les désirs de conformité d’une mère elle-même élevée dans un milieu très conformiste. On y décrit un rejet précoce de cet enfant : « Sa propre mère, Anna, ne comprit jamais Vincent. Les excentricités de son fils aîné mettaient depuis toujours à rude épreuve sa conception profondément conventionnelle du monde » (Naifeh et Smith, 17). « Elle s’inquiétait des idées étranges et " idéalistes " qui l’animaient ; il lui reprochait son esprit étriqué et insensible. L’incompréhension céda à l’impatience, l’impatience à la honte et la honte à la colère... Il ne cessa pourtant jamais de réclamer son approbation » ((Naifeh et Smith,17,18). Il semble bien par ailleurs que le père, pasteur solitaire dans plusieurs petits villages à la frontière des Pays-bas et de la Belgique, très centré sur la prédication de la vie morale et sur l’importance d’une vie familiale bien réglée, n’a pu compenser l’incompréhension maternelle. De graves confrontations ont été très fréquentes entre lui et son fils, mais il y a aussi évidence qu’il a été, tout au long des années, le parent visiblement plus impliqué dans la vie de son fils. Mais les deux parents étaient très liés dans l’esprit de Vincent: « ...Pa et Moe me considèrent comme un personnage à moitié étranger, à moitié assommant, et rien de plus, alors que, de mon côté, je me sens tout perdu, tout isolé quand je me retrouve à la maison » (187, 15 avril 1882).

 

Dans ce contexte familial où l’enfance de Vincent semble avoir été marquée d’insatisfactions profondes, Théo, son frère de 4 ans plus jeune, en est venu à jouer à partir de la fin de l’adolescence un rôle parental, que l’on peut qualifier à la fois de maternel et paternel. Cette relation entre les deux frères s’était élaborée très tôt durant les premières années de vie commune à la maison ; ils partageaient la même chambre et Vincent était celui qui enseignait à Théo les jeux et connaissances qu’il maîtrisait déjà. La correspondance considérable entretenue entre les deux frères depuis 1872 - Vincent est alors âgé de 19 ans - jusqu’à sa mort en 1890 à l’âge de 37 ans, nous ouvre aux problèmes complexes de Vincent, à son évolution, et à l’intensité de leur relation (Gallimard, 1990)3. À mesure que l’on avance dans la connaissance de la vie de Vincent, particulièrement fondée sur cette correspondance, avec son frère Théo surtout, mais aussi avec sa famille et quelques artistes proches comme Gauguin, on découvre que la courte vie de ce grand artiste, profondément marquée par l’insécurité et la solitude, s’est aussi jouée autour d’une recherche constante d’affection, de rapprochement, d’amitié, et de la peur d’être abandonné. On observe aussi chez lui un fréquent besoin de jouer un rôle parental, en protégeant ceux qu’il voyait comme tristes et abandonnés, tels les ouvriers du charbon en Belgique où il s’était installé durant une phase religieuse vouée au travail missionnaire, et les femmes en deuil ou abandonnées qu’il a fréquentées.Tous les diagnostics ont été avancés pour expliquer la vie profondément perturbée de Vincent : psychose, schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, etc. Dans cet essai où je tente de résumer les grandes étapes de la vie de Vincent, je propose plutôt que nous sommes en présence d’une dynamique qui s’est organisée à partir d’une histoire d’attachement profondément perturbée, sans doute précocement, et que finalement Vincent a souffert d’un trouble sévère d’attachement. »

Yvon Gauthier 

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