Le robot NAO comme médiation thérapeutique auprès d’enfants autistes : support d’accès à l’intersubjectivité

La thèse de doctorat de Charlotte Labossière, psychologue à l’Hôpital de Jour André Boulloche

L’Hôpital de Jour pour Enfants André Boulloche a accueilli trois années durant, de décembre 2021 à décembre 2024, une doctorante en Psychopathologie et Psychanalyse dans le cadre d’une CIFRE[1]. Il s’agit de Charlotte Labossière, psychologue clinicienne, que nous avons rencontrée en 2018 lors de son stage de Master 2 clinique, qu’elle a prolongé par deux années de bénévolat au cours desquelles elle a passé un Master 2 Recherche, peaufiné son projet et démarré les expérimentations cliniques de son travail de thèse. Charlotte Labossière est par ailleurs membre des Petits Laboratoires d’Empathie et de l’Institut pour l’Etude des Relations Homme Robot (IERHR).

L’hôpital de Jour André Boulloche a développé depuis 2014 un programme de médiations numériques et robotiques, assorti d’une démarche de recherche. L’utilisation des médiations numériques dans nos structures était en effet peu répandu en 2014, tout comme l’usage des médiations robotiques ou de la réalité virtuelle demeure aujourd’hui marginal. Nous avons donc à cœur de pouvoir formuler des hypothèses sur l’intérêt de ces médiations, et de les mettre à l’épreuve de protocoles expérimentaux.

Olivier Duris, psychologue clinicien, a ainsi soutenu sa thèse de doctorat en 2021 : « Le robot Nao comme support relationnel et de dynamique groupale auprès de jeunes porteurs de Troubles du Spectre Autistique », dirigée par Serge Tisseron.

En 2021, nous avons accueilli un doctorant en informatique, Valentin Bauer, qui travaille sur les environnements de médiation multisensorielle en réalité étendue à destination de personnes autistes.[2]

Et le 4 décembre 2024, Charlotte Labossière a soutenu publiquement sa thèse élaborée sous la direction de Chantal Lheureux-Davidse, à l’Université Paris Cité, dans le cadre de l’Ecole doctorale Recherches en psychanalyse et psychopathologie (CRPMS – EA 3522).

Là où les travaux d’Olivier Duris portaient sur une approche groupale de la médiation robotique, et sur les spécificités induites par l’introduction d’un robot dans la dynamique d’un atelier Conte, Charlotte Labossière a développé une approche individuelle de la médiation robotique avec des enfants autistes, permettant d’en mettre à jour les bienfaits, d’en discuter les points forts et les écueils, mais aussi de poser les conditions de son cadre.

L’hypothèse de Charlotte Labossière est qu’une médiation robotique pourrait constituer un support particulièrement propice au travail sur l’accès à l’intersubjectivité pour de jeunes autistes. En effet, l’accès à l’intersubjectivité, qui constitue la base des relations sociales, est souvent altérée chez les enfants autistes, et leurs difficultés relationnelles impactent l’ensemble de leur développement. L’utilisation de médiations thérapeutiques est préconisée dans certaines approches psychothérapeutiques pour permettre aux enfants de développer leurs compétences sociales et relationnelles.

Mais en quoi une médiation robotique pourrait constituer un support de choix dans ce cadre ? Ce qui apparaît comme facilitateur dans les médiations à caractère technologique avec les personnes autistes, c’est leur caractère simplifié, répétitif et prévisible, qui permet au sujet de ne pas se sentir menacé, et d’utiliser ce support « froid » comme un intermédiaire relationnel entre lui et le monde, entre lui et les autres. Il est à la fois un outil qui fait lien avec le monde, et un outil qui protège du monde, autrement dit un outil qui permet de s’approprier le monde et la relation à l’autre à son rythme, tout en se sentant protégé par lui, sa constance et sa prévisibilité.

Dans son travail expérimental, Charlotte Labossière a utilisé un robot humanoïde de type Nao dans un cadre de thérapie individuelle avec 13 enfants âgés de 6 à 12 ans présentant un autisme sévère. Ses observations et analyses théorico-cliniques dans ce cadre lui ont permis de conclure que cette médiation pourrait étayer le développement des compétences psycho-corporelles et spatiales, les capacités d’expression et de communication, ainsi que l’émergence d’interactions ludiques entre l’enfant et le thérapeute constituant des prémices de futures expériences partagées et intersubjectives.

Au jury de cette thèse étaient présents :

• Yorgos DIMITRIADIS (Professeur, Université Paris Cité, Examinateur)
• Bernard GOLSE (Professeur Émérite, Université Paris Cité, Membre invité)
• Chantal LHEUREUX-DAVIDSE (MCF Émérite, HDR, Université Paris Cité, directrice de thèse)
• Patrick MARTIN-MATTERA (Professeur, Université Catholique de l’Ouest, Rapporteur)
• Maribel PINO (Docteur, HDR, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Rapportrice)
• Serge TISSERON (Docteur, HDR, Université Paris Cité, Membre invité)

Les membres du jury ont souligné une écriture fluide et agréable, la rigueur dans la description des interactions avec les enfants suivis, un plan très clair et beaucoup de références bibliographiques pertinentes. La candidate a en outre montré une remarquable capacité à avoir à la fois une attention au patient et à elle-même, et donc un certain recul, ce qui est souvent difficile en situation thérapeutique.

Ils ont également apprécié son effort de clarification pour différencier les termes employés pour désigner le mode de relation qu'un humain entretient avec un robot, en situation thérapeutique et dans la vie courante : objet transitionnel, objet malléable, objet intermédiaire, objet de médiation ou encore partenaire. Plusieurs membres ont également loué son attention aux places respectives du langage corporel et du langage parlé dans la relation que les enfants autistes établissent avec les robots.

Enfin, la qualité des interactions de la candidate avec les enfants qu’elle a suivis a été unanimement appréciée par le jury. Une approche qu’elle définit elle-même dans sa thèse (page 220) : « Il est plus facile pour l’enfant autiste d’entrer en interaction par l’intermédiaire d’un médiateur faisant tiers dans la relation, d’autant plus si ce médium est choisi par l’enfant et que le thérapeute s’y intéresse avec enthousiasme et émerveillement ». Bien qu’elle parle très peu d’empathie dans sa thèse, ce travail a été salué comme un formidable plaidoyer pour développer une approche originale de « thérapie par objet d’empathie partagée ».

Pour terminer, le jury a encouragé la candidate, forte de ce premier travail, à tester ses hypothèses novatrices sur les relations que les enfants autistes entretiennent avec d’autres types de robots, notamment les « robots virtuels » sur un écran. Elle pourrait y comparer les effets des différentes formes d’empathies mises en jeu : celles qui sont développées entre le thérapeute et le robot, entre l’enfant et le robot, et entre le thérapeute et l’enfant.

Pour l’heure, la direction de l’Hôpital de Jour André Boulloche est très satisfaite d’avoir pu pérenniser la présence et l’action de Charlotte Labossière au sein de la structure, en l’embauchant en CDI à un poste de psychologue clinicienne.

Dr Marie-Noëlle Clément, psychiatre, directrice de l’Hôpital de Jour pour enfants André Boulloche, membre fondatrice de l’IERHR (Institut pour l’Etude des Relations Homme-Robot)