À propos de la psychopédagogie

psychopedagogie_golse_vignette.png

Faire vivre les apprentissages aux enfants comme des acquisitions, c’est-à-dire comme la découverte de ce qu’ils possèdent déjà en eux : une position plus dialectique entre le dedans et le dehors - Un article de Bernard Golse

 

Le champ de la pédagogie recouvre à la fois les théories dont l’on dispose quant aux apprentissages de l’enfant, et la mise en œuvre de ces théories au sein des pratiques éducatives.
La psychopédagogie s’intéresse aux conditions psychologiques de l’enseignement et des apprentissages.
De la même manière que l’ensemble du développement psychique de l’enfant (croissance et maturation) et de ses troubles se déploient à l’interface de facteurs internes (soit la part personnelle de l’enfant, comme son équipement génétique et neurobiologique par exemple) et de facteurs externes (soit l’environnement dans toutes ses composantes, et notamment celle de la rencontre avec le travail psychique d’autrui), les apprentissages se jouent au point de rencontre des aptitudes propres à l’enfant et des qualités pédagogiques des adultes transmetteurs de savoir.
Si l’on ne tient compte que des facteurs internes, on se situe dans une vision endogène, strictement médicale et quasi neurologique des apprentissages et de leurs difficultés (on l’a vu parfois à propos des « dys »), mais si l’on ne tient compte que des facteurs externes, on se situe alors dans une vision exogène purement psychopathologique faisant des troubles des apprentissages de purs symptômes, ce qui convient mal à un certain nombre de situations.
La psychopédagogie se doit donc d’assumer une position plus dialectique entre le dedans et le dehors en quelque sorte :

  • Du côté de l’enfant, la réussite scolaire suppose certes un développement neurologique, psychologique, psychomoteur, langagier et affectif correct, mais elle est également fondée sur le désir de savoir et le désir d’apprendre qui tous les deux renvoient aux identifications de l’enfant au rapport que l’enseignant entretient avec sa propre pensée.
  • Du côté de l’adulte, ce sont les qualités pédagogiques de celui-ci, soit ses qualités de transmission des connaissances qui s’avèrent décisives quant à la réussite des apprentissages de l’enfant.

On retrouve là, d’une certaine manière, l’opposition classique décrite dans le registre intrapsychique, entre ce qui vient du sujet (théorie des pulsions) et ce qui vient de l’autre (théorie des relations d’objet).
Quoi qu’il en soit, il importe de rappeler que les premières acquisitions de l’enfant ne sont pas des apprentissages au sens strict : on n’apprend pas véritablement à l’enfant à marcher ou à parler, la marche et le langage surgissent du dedans quand un certain nombre de prérequis maturatifs sont en place, et l’enfant se saisit ensuite de ce qui vient de l’autre pour perfectionner sa marche et enrichir son langage.
Les acquisitions viennent du dedans, les apprentissages viennent du dehors (dans « apprendre », il y a « prendre »).
On sait le débat qui a eu lieu quant à l’âge souhaitable pour la scolarisation1.
Il semble qu’il faille attendre que l’enfant ait résolu ce que G. HAAG appelle la « crise des deux ans et demi » marquée par l’apparition du « Je », du « Oui » et des ronds fermés dans les dessins pour que l’enfant soit en mesure d’aller à l’école.
Avant cette date (qui n’est qu’une moyenne statistique), c’est l’époque des apprentissages et de l’instauration d’une sécurité interne suffisante, après cette date, les apprentissages proprement dits deviennent possibles car l’enfant peut désormais prendre en lui ce qui vient d’autrui sans se sentir menacé.
Quoi qu’il en soit, les bons enseignants sont ceux qui savent faire vivre les apprentissages aux enfants comme des acquisitions, c’est-à-dire comme la découverte de ce qu’ils possèdent déjà en eux.
C’est dans cet esprit que se sont développées les méthodes pédagogiques dites d’éducation active avec les noms d’Emmi PIKLER (1902-1984) et de Maria MONTESSORI (1870-1952) qui peuvent être évoqués en tant que pédagogues célèbres du XXe siècle, la première pour les tout-petits de zéro à trois ans, la seconde plutôt pour les enfants d’âge scolaire.
Leurs fondamentaux se rejoignent qui visent à laisser à l’enfant sa part active dans ses processus de développement et d’apprentissage quelle que soit son immaturité initiale.
Pour elles, les apprentissages se fondent sur une curiosité naturelle de l’enfant qui doit rencontrer l’intérêt, l’étayage et l’émerveillement de l’éducateur afin que l’enfant ne soit pas le réceptacle passif de ce qu’on lui apporte, mais l’agent actif de ce qu’il peut découvrir par lui-même sous le regard de l’autre.
En France, c’est Maria TOROK (1925-1998), première psychothérapeute à travailler en école maternelle en France dès 1954, qui théorisera2 la « pulsion d’introjection » :
« Laisser libre cours à l'élaboration spontanée signifie reconnaître la validité des vécus de l'enfant et lui permettre une prise de conscience progressive de soi et de ses pouvoirs. »
On voit que ceci est très éloigné du moule scolaire uniforme proposé, si ce n’est imposé, aux enfants dans des classes à effectifs trop importants pour permettre une attention spécifique à chacun dans de bonnes conditions.

Pour conclure, on peut dire que la psychopédagogie se doit d’admettre que la cognition et l’affectivité se trouvent étroitement liées, que le rôle de l’émotion est essentiel dans les processus d’apprentissage et de mémorisation (W.R. BION3) et que de ce fait l’enfant peut se trouver tiraillé entre le désir de savoir et la peur d’apprendre (S. BOIMARE4).
C’est dire aussi l’intérêt d’une double formation - cognitive et relationnelle - des enseignants car si le tout-psychanalytique de la prise en charge des difficultés scolaires est voué à l’échec, le tout-neuroscientifique l’est probablement tout autant.
Ce n’est pas le cerveau qui apprend à lire (S. DEHAENE5) mais un enfant en relation avec son environnement et dans sa rencontre avec le fonctionnement psychique de l’adulte.

Bernard Golse pour Cerep-Phymentin, le 29 août 2019

Bibliographie

1C. BRISSET et B. GOLSE (sous la direction de), L’école à 2 ans : est-ce bon pour l’enfant ? Éditions Odile Jacob, Paris, 2006

2M. TOROK, Manuscrits rédigés entre 1953 et 1959, Psychanalyse et Pédagogie, 1953

3W.R. BION (1965), Transformations – Passage de l'apprentissage à la croissance, P.U.F., Coll. « Bibliothèque de Psychanalyse », Paris, 1982

4S. BOIMARE, Pédagogue avec des enfants qui ont peur d’apprendre et de penser, 159-169 In : Penser, apprendre - La cognition chez l’enfant - Les troubles de l’apprentissage - La prise en charge (sous la direction de Ph. MAZET et S. LEBOVICI), Eshel, Paris, Coll. « Médecine et Hygiène », Genève, 1988

5S. DEHAENE, les neurones de la lecture, Éditions Odile Jacob, Paris, 2007