C’est une question qui est souvent débattue dans notre équipe, depuis qu’en 2012 nous avons commencé à participer à des programmes de recherche ou à initier nos propres projets expérimentaux.
Tout d’abord quelques précisions : qu’entend-on par « recherche » dans une structure de psychiatrie infanto-juvénile où il s’agit de prendre en charge des enfants par une approche clinique et institutionnelle ?
Ce n’est bien sûr pas de « recherche fondamentale » dont il est question : la recherche fondamentale vise à acquérir de nouvelles connaissances sur des phénomènes ou des faits observables, sans visée pratique.
Dans notre cas il s’agit de « recherches cliniques », c’est-à-dire d’études visant le développement de connaissances dans le champ des sciences humaines qui est le nôtre. Et plus précisément encore il s’agit de « recherches-action », qui se définissent comme une démarche visant à mener en parallèle et de manière intriquée l'acquisition de connaissances scientifiques et des actions concrètes et transformatrices sur le terrain. Sont totalement exclues de notre champ les recherches médicamenteuses : ce que nous souhaitons mettre en place, expérimenter et évaluer, ce sont des modalités innovantes de prise en charge auprès des enfants dans le domaine thérapeutique, éducatif et pédagogique.
- de 2013 à 2017 nous avons participé à une étude contrôlée randomisée déployée dans une dizaine d’établissements du territoire français et d’Outremer, portant sur l’évaluation de la pertinence d’une approche pédagogique structurée à visée subjectivante pour des enfants TSA peu ou non verbaux (Atelier-classe PREAUT / Groupe pédagogique Intensif Séquentiel)
- De 2017 à 2020, nous avons accueilli un doctorant en psychopathologie, Olivier Duris, qui a travaillé sur une médiation robotique : Le robot NAO comme support relationnel et de dynamique groupale auprès de jeunes porteurs de TSA (directeur de thèse : Serge Tisseron)
- Depuis janvier 2021, nous accueillons un doctorant en informatique dans le cadre d’un partenariat avec le CNRS et le CNAM pour l’expérimentation d’un environnement de réalité mixte dans une approche sensorielle des enfants porteurs de TSA
- Enfin nous avons déposé un nouveau dossier à l’ARNT (Agence Nationale Recherche et Technologie) afin d’accueillir pour 3 ans une doctorante en psychopathologie, Charlotte Labossière, qui travaille sur les processus de socialisation des enfants autistes par la médiation robotique et les critères épistémologiques et cliniques dans une thérapie à médiation robotique (directrice de thèse : Chantal Lheureux-Davidse)
À noter également que depuis 2012 nous participons à la Consultation Régionale de Génétique, conduite par le Pr Arnold MÜNNICH et son équipe sous l’égide de l’Elan Retrouvé. Au-delà de faire bénéficier les patients et leurs familles de bilans étiologiques conformes aux données actuelles de la science, cette consultation conduite dans de nombreuses institutions du secteur sanitaire et médico social contribue également à la recherche sur les formes syndromiques de l’autisme.
Mettre en œuvre une dynamique de recherche dans une institution prenant en charge au long cours des patients dont les troubles sont profonds et complexes a incontestablement contribué à dynamiser notre équipe et notre institution. Le rythme évolutif de nos patients peut être lent, il est parfois décourageant pour les équipes. Pouvoir s’ouvrir à des champs de réflexion et d’expérimentation permet aux professionnels de prendre du recul, de se décentrer de la prise en charge quotidienne pour investir un travail dont la portée est plus large. La recherche permet de s’aventurer dans des contrées encore peu défrichées, tout en bordant ce processus d’un cadre précis, et en interrogeant de façon constante la pertinence des actions conduites. Ce sentiment de naviguer dans l’inconnu de façon cependant sécurisée est très porteur, il crée de l’enthousiasme chez les professionnels qui acceptent de s’y frotter. Et puis cela suscite le débat : c’est parfois fatigant, mais c’est aussi vivant !!
Mais le point le plus important est sans doute que les recherches menées étant des « recherches-action », elles permettent le développement d’actions qui modifient le terrain institutionnel, et les dispositifs peuvent être pérennisés s’ils sont jugés intéressants. Dans notre cas, nous avons pour l’instant gardé tous les dispositifs que nous avons expérimentés : l’atelier-classe PREAUT fonctionne depuis 2013 tous les matins à l’hôpital de jour, et les ateliers robotiques continuent à se développer.
L’implantation de projets de recherche dans un hôpital de jour dont la vocation est d’abord la prise en charge des patients n’est cependant pas chose aisée. Tout au moins, la première recherche essuie les plâtres, et ensuite le pli est pris, les réticences sont moins fortes et les obstacles franchis plus facilement.
Le premier point à souligner est que cela représente beaucoup de travail ! Du travail de préparation, d’élaboration et d’écriture du projet, du travail de recherche de fonds, de mise en œuvre. Puis il faut respecter le protocole établi, et les échéances, notamment évaluatives. Un gros travail de pédagogie auprès des professionnels et des familles est également nécessaire.
Car des réticences peuvent être rencontrées au sein des équipes – beaucoup moins auprès des parents -, que ce soit sur la démarche d’évaluation standardisée, ou sur la nature du dispositif proposé. La démarche expérimentale en elle-même est souvent questionnée : cela va du fantasme de transformer nos patients en « rats de laboratoire » jusqu’à l’inquiétude, plus légitime, d’une forme d’injustice liée au tirage au sort entre groupe expérimental et groupe témoin dans les études contrôlées randomisées, comme ce fut le cas pour la recherche ateliers-classe PREAUT. L’ambivalence qui s’est manifestée-là était d’ailleurs très intéressante : d’un côté le dispositif pédagogique proposé pouvait être suspecté de changer notre modèle de soins puisqu’il introduisait des techniques empruntées au cognitivo comportementalisme, mais d’un autre côté, chacun souhaitait que tous les enfants fassent partie du groupe expérimental ! Fort heureusement, il ne s’agissait pas d’évaluer un dispositif contre un placebo, comme dans les recherches médicamenteuses, mais bien de comparer les apports de deux approches pédagogiques : l’une classique et éprouvée, et une autre procédant d’une structuration espace-temps, d’un séquençage des activités, et d’un encadrement en « un pour un ».
Toutes ces réticences doivent être parlées, élaborées, et c’est long, très long parfois... Mais l’expérience montre que c’est finalement la mise en œuvre qui finit par emporter l’adhésion. De nombreux fantasmes sont attachés en amont au démarrage de ces recherches. Par exemple travailler sur les nouvelles technologies, sur la robotique pouvait sembler à l’équipe un éloignement des valeurs humanistes qui sont les nôtres. C’est finalement le fait d’engager le travail, avec nos références et avec ce que nous sommes, qui a permis de faire tomber un certain nombre de ces fantasmes. Et c’est là le rôle de la direction, et notamment du médecin directeur, que d’assumer à un moment donné l’implantation de ces projets, avec la partie de l’équipe qui est partante, en espérant susciter l’adhésion du plus grand nombre au fil du temps…
La dernière partie du travail est le partage des connaissances, en interne bien sûr, mais aussi par des publications, des communications dans des colloques, des échanges avec d’autres équipes.
La recherche sur les ateliers-classe PREAUT a donné lieu à plusieurs publications internationales, dont la récente publication dans la revue EClinical Medicine[1] sur les résultats finaux, à 36 mois.
Olivier Duris écrit et communique très régulièrement sur son travail de thèse. Une grande satisfaction pour lui et pour nous fut la soutenance de sa thèse, le 3 mars dernier. Elle s’est tenue en distanciel, Covid oblige, mais… depuis l’hôpital de jour ! Symboliquement ce fut un temps fort pour notre institution, et une partie de ses collègues ont pu être présents avec lui. Un beau moment, riche en émotions pour tous, comme nous espérons et souhaitons en connaître d’autres !
Marie-Noëlle Clément, mars 2021