Le groupe « marionnettes »

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Ainsi, font, font, font...

Mais que fait Bernard Golse avec ses marionnettes ?

J’anime un groupe « marionnettes » hebdomadaire depuis une trentaine d’années environ. C’est une activité que j’ai mise en place à l’hôpital Saint-Vincent de Paul, alors que j’étais encore chef de clinique. Les discussions que j’ai pu avoir avec Serge Lebovici au sujet de ce type de médiation, ont certainement joué un rôle important dans mon désir de mettre en place un tel dispositif. Depuis sa fondation, ce groupe  « marionnettes » a toujours été animé par deux co-thérapeutes, moi-même en compagnie d’une infirmière ou d’une psychologue-psychothérapeute selon les années.

Le groupe « marionnettes » s’adresse dans sa conception, préférentiellement à des enfants de 4 à 8 ans, il propose en effet un travail psychique particulièrement adapté à la période œdipienne et post-œdipienne. Il a été conçu comme un espace thérapeutique précieux car se situant comme une indication entre la thérapie des tout-petits et le psychodrame des préadolescents. C’est un des moments de la semaine qui me procure un grand plaisir et que je ne manquerais ... pour rien au monde !

Nous venons de publier un article sur ce travail groupal dans la revue « La psychiatrie de l’enfant » (A. JUTEAU, B. GOLSE et A.-M. CLOUET, « Groupe marionnettes : un autre psychodrame ? », La Psychiatrie de l’enfant, 2015, LVIII, 1, 23-52).

Une marionnette préférée ?

Les marionnettes ne sont pas des marionnettes à fils, mais des marionnettes dans lesquelles les mains doivent être enfilées. J’aime bien le renard, mais il n’y a pas de marionnette utilisée de manière préférentielle car ce sont les enfants qui imaginent le scénario et qui distribuent les rôles, les adultes jouant avec eux. Le groupe est généralement constitué de 4 enfants présentant des structures psychopathologiques variées (névrotiques, dysharmoniques ou prépsychotiques) et nous essayons, autant que faire se peut, de constituer un groupe associant des enfants se situant pour certains sur un pôle inhibé, et pour d’autres sur un pôle plus extraverti afin de pouvoir profiter de phénomènes d’entraînement mutuel. Le traitement se déroule sur 1 ou 2 ans et prépare souvent la mise en place d’une psychothérapie individuelle ultérieure. Mais revenons au renard : j’aime bien son mixte de doux et de pointu, de rond et d’acéré, de vif et de malin ... Cela renvoie peut-être à la question de la bisexualité psychique ?

Un plaisir partagé ?

Faire-ensemble pour être-ensemble, cela ne peut passer que par l’expérience d’un plaisir partagé, le plaisir de jouer, de faire-semblant, de régresser et d’explorer les frontières mouvantes entre la réalité et l’imaginaire.

Les thérapeutes se doivent de vivre un certain clivage afin qu’une partie d’eux-mêmes accompagnent les enfants dans ce mouvement ludique tandis qu’une autre partie d’eux-mêmes continue à conduire la cure et à interpréter les productions du groupe soit pour travailler et retravailler certains niveaux ou problématiques archaïques en souffrance (les enveloppes groupales notamment), soit pour tirer les choses vers des niveaux plus œdipiens. Le plaisir des enfants à ressentir le plaisir des adultes est probablement l’un des leviers les plus importants de la dynamique thérapeutique.

Et quand vient la fin de la médiation ?

Il n’y a pas de fin sans nostalgie, jamais. Ceci est vrai pour tout dans la vie, alors cela vaut aussi pour les processus thérapeutiques. Ceci étant, si pour les parents, c’est l’enfant qui représente l’objet narcissique, pour les professionnels, ce doit être non pas l’enfant mais la qualité du travail avec l’enfant, ce qui fait que la fin du traitement ne soit pas vécue comme un arrachement. Il s’agit là d’un décalage minuscule mais énorme à la fois, et la chose est sans nul doute plus facile à dire qu’à faire...

Certes, la séparation peut parfois être difficile, mais le but de toute thérapie est précisément d’apprendre à se séparer, car on ne peut bien se séparer que si l’on a d’abord été bien relié, ici par le biais du processus transféro-contre-transférentiel.

Une conclusion ?

Cette thérapie par les marionnettes se situe quelque part entre l’art-thérapie et les médiations culturelles. Dans mon esprit, l’art-thérapie est surtout centrée sur l’organisation du sujet alors que les médiations culturelles le sont davantage sur l’élaboration de l’espace potentiel ou transitionnel au sens winnicottien du terme.

Une institution comme le Cerep-Phymentin fonctionne comme un groupe de groupes avec des espaces interstitiels qui valent comme tissu conjonctif de l’institution, et dans ces conditions, c’est tout le jeu institutionnel qui confère à chaque établissement une enveloppe protectrice à l’abri de laquelle son enveloppe de signification peut alors se structurer, Didier Anzieu ayant utilement souligné le fait que les enveloppes sont toujours doubles, par essence.

Or, penser, c’est jouer avec les idées. Apprendre à jouer, accepter de jouer ensemble, telle est donc l’une des définitions possibles de la dynamique associative globale qui contient le fonctionnement de chaque établissement en leur conférant leur potentialité créative, inventive et thérapeutique spécifique.

La dynamique institutionnelle de l’association CEREP-Phymentin vaudrait ainsi, en quelque sorte, comme espace contenant de « médiation culturelle » permettant la différenciation fonctionnelle de chaque établissement qui la compose, chaque établissement se trouvant alors porteur d’un projet et d’une force thérapeutiques dont la dimension artistique est inhérente, on le sait, à la praxis pédopsychiatrique elle-même.

Alors, l’institution comme groupe « marionnettes » ou plutôt comme groupe de marionnettistes ? Au sens figuré et au sens symbolique, bien entendu.

En tout état de cause, la comparaison n’est en rien dévalorisante, et elle mérite peut-être qu’on s’y arrête...