Enseignante d’arts plastiques dans un collège, Danièle Perez est également interlocutrice au Numérique pour l’académie. Professeur à l’ESPE de la Réunion, elle forme les futurs professeurs des écoles en intégrant la dimension du numérique dans sa formation. Rédactrice depuis 2011 d’un blog connaissant un vif succès auprès des enseignants et des artistes, elle s'interroge sur la spécificité du numérique dans le champ des arts plastiques. Également artiste plasticienne numérique, elle a un site où elle mène une réflexion depuis 1997 sur le point, maintenant le pixel, sujet aussi de sa maîtrise.
« L’art numérique c’est ce qui reste une fois qu’on a débranché le courant. », ce sont les propos de Maurice Benayoun dans sa quête de définition de l’art numérique. Il s’attarde sur les relations du numérique avec le cinéma. Pour ma part, je ferais le lien entre la photo argentique et la photo numérique. Dans ce cas particulier, avec le numérique les effets prennent souvent le dessus par rapport au propos artistique. L’art numérique a ses spécificités : il permet d’aborder, d’autres manières, les notions plastiques avec son propre langage. Pour ma part, je le définirais comme de « l’art augmenté ». Si ce n’est pas le cas, et que le médium numérique ne participe pas à l’élaboration de l’œuvre, alors ce n’est pas de l’art numérique. La grande difficulté consiste à bien discriminer ce qui est de l’ordre de l’artistique et de l’effectisme.
Quand je parle d’ « art augmenté », je veux dire que c’est une nouvelle forme artistique qui reprend les anciens codes pour les transfigurer dans le nouveau médium. C’est une révolution qu’on met du temps à comprendre, comme le passage de la peinture à l’eau à la peinture à l’huile qui a permis davantage de réalisme dans le rendu des textures par exemple.
La révolution de l’imprimerie a, elle aussi, changé les habitudes et il a fallu du temps pour obtenir la pensée d’un Picasso ou d’un Warhol. Réalité augmentée car cet art doit s’ancrer dans le chemin de l’histoire de l’art et faire pénétrer la nouvelle. Nous assistons et sommes les acteurs d’une nouvelle scène artistique où le spectateur est, par exemple, plus impliqué avec l’art interactif.
Le numérique intervient à tous les niveaux. Pour le professeur, c’est un gain de temps : recherches Internet, évaluation en ligne, utilisation du vidéoprojecteur, classe inversée, etc... Mais le numérique en est encore à ses balbutiements. Pour les élèves, le numérique offre une autre manière de faire passer les notions, parfois avec plus d’efficacité. Par exemple, j’ai voulu traiter de la question du « détournement dans l’art » et je ne trouvais pas de dispositif suffisamment ouvert avec les moyens traditionnels. C’est en détournant le vidéoprojecteur que j’ai réussi à trouver et mettre en scène un vrai dispositif efficace. Le gain de temps a été formidable. J’ai réalisé en 2 séances ce qui m’aurait pris davantage de temps avec les moyens traditionnels (voir sitographie). La question de la couleur, la lumière, autres exemples, sont bien plus efficaces à transmettre lors d’un apprentissage sur des supports numériques. Il faut penser l’outil numérique comme une plus-value et pas seulement un outil ludique pour les élèves. Le travers est bien là. Comme il serait triste d’abandonner les voyages dans les dictionnaires pour passer uniquement à des recherches Internet. Ce sont des moyens complémentaires. Mais il y a des obstacles inhérents au numérique : la qualité de l’information et la validité des sources cherchées par les élèves. Lors des attentats de Paris, la quantité de fausses informations a perturbé, pas seulement les élèves, mais aussi les adultes. (voir article de la MAIF)
La culture du numérique est une culture du discernement. Pour nous, qui sommes passés du support papier aux moyens numériques, nous avons des outils conceptuels pour distinguer la nature de ce que nous trouvons sur Internet. Mais les élèves n’ont pas cette culture de la source et de sa fiabilité. Une maison d’édition garantit la pertinence de ses publications : certaines sont des références. Tout le monde peut publier sur la toile et comment séparer le bon grain de l’ivraie ?
C’est un rêve de croire qu’un jour tous nos élèves seront connectés. Mais l’école de la République doit répondre à ce nouveau besoin de formation avec les outils numériques. « J’apprends mieux sur ma tablette. », tels sont les propos d’une jeune fille de 6e. Il faut écouter cette parole forte de cette enfant car elle est porteuse de sens. Les élèves sont habitués à ces environnements numériques et leurs capacités cognitives sont davantage sollicitées par ces nouveaux supports. En effet, je constate que lorsque je conçois un dispositif avec le numérique dans mes cours, il y a une nouvelle « alchimie » qui se produit dans la classe. L’attention est autre. Mais est-ce une plus-value ? Est-elle meilleure ? Comment mesurer l’efficacité de ces nouveaux supports par rapport aux anciens et quelle sera leur longévité ? Paradoxalement, nous voyons un engouement de la part des élèves vis-à-vis des supports numériques mais nous constatons un appauvrissement au niveau de l’écriture. Le langage par texto a fait des ravages dans la psyché de ces enfants si jeunes pas encore formés à l’écriture. N’est-ce pas l’équivalent avec l’image qu’ils absorbent de manière brute et brutale ? L’image va-t-elle un jour se substituer aux mots ? Le véritable enjeu du numérique consiste à la diversification des moyens pédagogiques employés. Trop de numérique tuera l’éducation et son absence ne permettra pas à nos élèves de devenir de véritables acteurs responsables dans notre société en mutation. La culture du numérique doit mettre l’accent sur la responsabilité et la responsabilisation des élèves.
Au niveau de la créativité, le numérique est une plus-value même si j’emploie cette idée avec une intention particulière. Que doit apprendre l’élève dans un cours d’arts plastiques ? Des notions, des démarches, des postures dont le numérique fait partie. La créativité est aussi riche avec des moyens traditionnels. Je ne pense pas qu’il soit judicieux de comparer les deux. Le numérique apporte sa dimension spécifique, qui est toute autre, et parfois son essence recoupe celle des arts traditionnels ou concrets. Mais là encore, j’émets des réserves car l’art numérique peut être très concret ! « L'art numérique qui ne serait qu'immatériel redeviendrait une tentative désespérée pour mimer le concept ou simuler le réel la matière en moins. » Maurice Benayoun. Le numérique ne doit pas couper du monde les élèves dans un espace fermé où il serait le maître tout-puissant, un espace sans parole, sans échange, sans dialogue. La présence physique ne doit pas s’effacer dans le dispositif mais accompagner, encadrer, rassurer, guider.
J’ai à l’esprit le cas de cet élève déclaré autiste Asperger qui a été équipé par le collège d’un ordinateur portable. Dans un premier temps, j’ai été séduite par cette nouvelle mesure et conquise par ses productions effectuées de façon numérique. Il travaillait plus vite et bien. Mais ce que je regrette, c’est l’isolement du reste de la classe : il était installé derrière son écran sans communiquer avec ses camarades, chose qu’il faisait, parfois même de manière violente, mais qu’il s’efforçait de mettre en place avec ses camarades.
Une tablette oriente le regard sur l’écran, un écran d’ordinateur est une barrière physique entre soi et le reste de l’espace de la classe. Un écran a une forte capacité d’envoûtement par rapport à une page d’un livre. Certes, on peut faire beaucoup de choses dans ces espaces réduits : communiquer en réseau, etc... Mais ce que je retiens de ce cas rencontré dans ma classe c’est le facteur d’isolement. Était-ce pertinent pour cet élève qui avait tant besoin de se sociabiliser avec les autres ?
Je me résumerai ainsi : il est nécessaire de se pencher sur les fondamentaux de nos apprentissages et de savoir quel moyen sera le plus adéquat pour faire passer le contenu de son enseignement. Le numérique pour le numérique est une illusion et un cache-misère. « L'art numérique qui ne serait qu'interactif ne serait qu'un interrupteur de plaisir, un jeu le ludique en moins. » Maurice Benayoun.
La tablette me paraît plus sociabilisante qu’un ordinateur pour des raisons évoquées plus haut. Mobile, elle permet le dialogue entre les élèves de la classe, l’apprentissage est plus dynamique, le corps peut se déplacer et vivre les apprentissages. Pour les logiciels : commencez par les fondamentaux : des logiciels libres de retouche d’image, de montage de stopmotion, de montage vidéo, etc... Les applications de mindmapping sont très utiles aussi.
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