Un discours de B. Chamoun, V. Faurie, Y. Tarhan, F. Caraman

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Journée association : intervention de Bénédicte Chamoun, Vincent Faurie, Yeliz Tarhan, Francine Caraman de l'hôpital de jour du Parc Montsouris - Tansmissions

L’étymologie du mot transmission du latin transmissio signifie trajet, traversée, passage.Transmettre serait donc permettre le passage d’un état vers un autre, d’un lieu à l’autre. Une dynamique s’inscrit donc dès l’origine, tel le passage de témoin entre relayeurs lors des courses de relai : pour avancer, aller de l’avant, il faut à la fois avoir reçu quelque chose de la personne qui nous précède, et en faire quelque chose, le transformer au gré de sa course, avant de le transmettre à la personne suivante.

L’adolescence nous semble paradigmatique de ces deux notions : transmission et transformation. C’est à ce travail de transformation subjectivée de ce qui a été transmis par les parents que doit s’atteler l’adolescent dans son devenir adulte. Du moins, c’est ce qui se passe quand tout va bien.

En 1972 Raymond Cahn psychiatre et psychanalyste, faisant partie des précurseurs de la pédopsychiatrie d’après-guerre, fonde l’hôpital de jour du Parc Montsouris, pour soigner des adolescents entravés dans leur développement psychique, empêchés dans leur processus pubertaire. Quatre ans après sa disparition, comment pouvons nous témoigner de la continuité et de la permanence des deux notions fondamentales de sa clinique ?

  • Une approche de l’adolescent comme sujet en devenir, qui doit pouvoir accéder au terme de son parcours de soins à une position de sujet, ce qu’on appelle la subjectivation (Fait de devenir sujet ; processus de transformation par lequel l’individu se constitue et se reconnaît comme sujet.)
  • Une conception du soin fondée sur le rôle soignant de chacun dans l’institution, la psychothérapie institutionnelle. Le point de vue de chacun est écouté et pris en compte, cela indépendamment de sa fonction.
  • Pour Raymond Cahn, l’expérience analytique a montré que ces adolescents étaient gravement parasités par des événements déniés de l’histoire familiale dont les parents avaient été eux-mêmes victimes, mais qui prenaient pour eux une portée traumatique de désubjectivation. Il y aurait eu dans les tout premiers liens parents bébés un échec des dialectiques liaison-déliaison, plaisir-déplaisir, excitation-pare-excitation ne permettant pas l’émergence du sujet. Celle-ci est en effet comprise en référence au premier développement, en deçà de la différenciation sujet-objet.

Pour Brusset, c’est dans « l’archéologie de la symbiose originaire que se constituent les pré-conditions du sujet et la transitionnalité dans sa paradoxalité.  Le « trouvé-créé » de l’activité transitionnelle de l’enfant dans les rapports originaires avec la mère-environnement est au fondement de ce qu’il décrit comme troisième topique, dialogue entre ces trois espaces interne, externe et intermédiaire.

Pour qu’il y ait subjectivation il faut d’une part que la transmission ait eu lieu (lever la forclusion, le déni) et d’autre part que la transformation puisse se faire. Autrement dit, pour que le sujet puisse advenir, il faut non seulement qu’il ait reçu quelque chose en héritage mais aussi qu’il puisse le faire sien. En somme qu’il puisse s’écarter du désir parental. Selon S. Flémal, c’est précisément de cet écart entre le « Je » de l’enfant anticipé par la mère de telle sorte qu’il répondait parfaitement à son désir et le « Je » de l’enfant tel qu’il peut advenir, que va prendre naissance le véritable « Je » du sujet

RC a défini les conditions de fonctionnement institutionnel, de cadre, de méthodes et de contre-transfert (groupal et individuel), toutes ordonnées à l’objectif thérapeutique de la « restitution subjectale. L’institution, selon l’idée novatrice de Green doit, face à la compulsion de répétition, donner la réponse qui n’a pas été là à l’origine : « la réponse par le contre-transfert est celle qui aurait dû avoir lieu de la part de l’objet ».

Le travail de subjectivation tel qu’il se déploie à l’hôpital de jour est, loin de vouloir « normativer » à tout prix les adolescents, au sens que ce décrit Mc Dougall, - des patients pour lesquels la normalité se révèle être davantage un bouclier symptomatique qu’une réalité foncièrement éprouvée. Loin d’apparaître comme un aboutissement psychique, cette sur adaptation à la réalité tend à dissimuler une visée défensive destinée à étouffer tout éveil des conflits et des angoisses constitutifs du sujet. Derrière cette normalité excessive peuvent ainsi se dévoiler les traits d’une psychose latente profondément enkystée.

Ce travail, au contraire, tend justement à favoriser l’émergence et l’expression de la pulsionnalité et des fantasmes même les plus archaïques dans un cadre suffisamment contenant et solide, étape préalable à la constitution du sujet désirant. Cette contenance et solidité du cadre est constituée par la pensée psychanalytique à plusieurs et par le transfert diffracté, chaque soignant de sa place étant dépositaire de parties du sujet qui ne font pas histoire pour lui. La constellation transférentielle, ce qu’on travaille comme transmissions en synthèse, permet le partage de points de vue très différents et a priori jugés comme incompatibles d’un même patient, pourtant porteur de toutes ces facettes. Dans la multiplicité d’approches qu’elle propose (thérapies individuelles ou psychodrame, médiations artistiques, culturelles, corporelles, pédagogiques, travail familial, social ), l’institution permet que se déploient les différents registres de fonctionnement psychique du plus archaïque au plus élaboré.

A travers l’exposé de mes collègues Georges Méliz et Stéphanie Gicquiaux, nous verrons l’illustration de cette clinique à plusieurs et ses effets sur les patients.

Le 22 mars 2024