Savoirs organisationnels des équipes

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" Savoir expérentiel " d'une équipe et modèles organisationnels : un article rédigé par Héloïse Haliday, psychologue clinicienne, Docteure en psychopathologie et chercheuse associée au CLIPSYD (Université de Nanterre)

Si toute équipe a une vie et un rythme propres qui s’élaborent grâce aux expertises professionnelles de ses membres, on peut alors considérer qu’elle possède un « savoir expérientiel » sur ce qui, en matière d’organisation du travail et des parcours des usagers, fonctionne le mieux pour les soins et les accompagnements au quotidien. Il est à ce titre particulièrement intéressant d’étudier les modèles organisationnels actuels car ceux-ci apparaissent, sous des formes plus conformes aux canons scientifiques, comme des re-découvertes de savoirs empiriques des équipes en santé mentale.

Adopter une démarche « participative »

Au milieu des nombreux modèles managériaux anglo-saxons plutôt portés sur la cognition collective, c’est-à-dire sur la compréhension commune des situations (au risque de passer à côté du ciment relationnel et émotionnel des équipes), le modèle français de la démarche participative, issu des soins palliatifs et élaboré par le Pr Philippe Colombat et son équipe au début des années quatre-vingt-dix, semble particulièrement porteur. Cette démarche clinique, visant à faire de l’environnement du travail l’outil de traitement primordial de la souffrance potentielle des professionnels, a donné naissance à un modèle de management d’équipe d’abord reconnu officiellement dans le cadre de la fin de vie – la démarche participative étant obligatoire dans ces services depuis 2008 - puis dans d’autres spécialités traitant des pathologies chroniques, comme l’oncohématologie.

Les quatre piliers de la démarche participative que sont les réunions (« staffs ») pluri-professionnelles, la formation interne, le soutien aux équipes et la démarche projet, ont l’avantage d’être conceptuellement accessibles et facilement opérationnalisables. Globalement, le style managérial promu par la démarche participative repose sur la création d’une ambiance permettant l’échange, une amélioration des pratiques et une responsabilisation des acteurs. La démarche participative est donc par essence délégative, reposant sur une confiance réciproque entre l’équipe et les échelons managériaux – la première respectant les règles posées par les seconds, qui en retour soutiennent son auto-gestion.

Le care comme boussole éthique

On ne peut qu’être frappé du nombre d’études actuelles, dans le monde du soin, qui s’intéressent à l’« ambiance » des services, définie comme un paramètre organisationnel influençant l’efficacité du leadership ou comme un environnement de travail propice au développement personnel des individus dans une organisation. Ces mêmes études proposent souvent de combiner l’autonomie des équipes à la promotion du care comme modèle institutionnel définissant les relations des soignants aux patients et les relations des soignants entre eux.

Il s’agit d’être attentif à l’autre en tant qu’être singulier mais aussi en tant que collègue possédant des compétences spécifiques, afin de « prendre soin » de l’intégration et de la socialisation de chacun au sein de l’équipe. La prise en compte, ressentie par chaque membre de l’équipe, de son irréductible singularité personnelle et dans le travail, permet en retour à tout professionnel de s’impliquer selon ses compétences, ses savoirs et savoir-faire, dans les projets institutionnels. Cette éthique managériale améliorerait la qualité de vie au travail des soignants en contrecarrant les effets néfastes de l’intensification du travail. Le care offrirait-il alors une alternative durable au Nouveau Management Public ? La question mérite d’être débattue, tant ce corpus théorico-pratique est plébiscité chez les professionnels de santé, qui voient en lui une façon de réintroduire de l’humain dans le soin et dans la gestion et plus largement de redonner du sens à leur travail.

Un préalable à tout sentiment de « faire équipe » : l’art de bien se réunir

Parmi les outils mis à la disposition des équipes pour prendre soin d’elles, la littérature a particulièrement insisté sur les espaces de discussion, débriefings et autres réunions cliniques. Ceux-ci sont des aides précieuses pour la coordination des comportements des praticiens, mais aussi des modes de médiation fondamentaux des interactions interpersonnelles au sein d’une équipe, et plus largement des opérateurs fondamentaux de la santé et de la qualité de vie au travail (Detchessahar, 2013). Soulignons que la place centrale des réunions pluriprofessionnelles non-hiérarchiques, du pouvoir de décision partagé et du soin porté à l’ambiance des services avait déjà été théorisée par de nombreux psychiatres français dès les années 60/70 sous le vocable de « psychothérapie institutionnelle »… Et que les lignes suivantes feront donc certainement écho à des pratiques déjà mises en place ou déjà connues de nos lecteurs !

Les espace-temps de communication les plus importants sont les « staffs » cliniques pluriprofessionnels auxquels assistent tous les professionnels d’un service, quelle que soit leur qualification. Ces réunions, au cours desquelles l’équipe peut reprendre des cas cliniques ou revenir sur des questions éthiques, permettent a posteriori de réinterroger les prises en charge et de proposer des améliorations en identifiant voire en modifiant les normes, les valeurs et les « modèles mentaux » sous-jacents au travail clinique – à condition d’être des lieux d’expression libre et démocratique des personnels, et de valorisation des contributions de chacun. Les encadrants ne doivent pas systématiquement être exclus des groupes d’échange : au contraire, la liberté de parole qu’implique le décentrement hiérarchique leur est à ceux aussi bénéfique, car ils sont tout autant sujets aux risques psychosociaux que leurs collègues. En revanche, comme nous l’avons souligné dans notre premier article, le travail d’équipe n’a rien d’une évidence et peut se trouver miné si les émotions des membres sont mal canalisées (Abrams & Sweeney, 1982; Mohr, 1995). Par conséquent, les aspects organisationnels - orientés sur les processus de coopération des professionnels - et psychothérapeutiques - orientés sur les décisions cliniques et le sens du soin - doivent être traités dans des espaces-temps différents, afin que les désaccords n’aient pas d’impact néfaste sur les décisions cliniques.

La plupart des études portant spécifiquement sur les réunions de services s’accorde finalement pour dire que si elles sont soutenues par l’organisation et considérées comme faisant partie intégrante du travail d’équipe, elles peuvent alors représenter un levier efficace de préservation de la santé mentale des soignants, en leur offrant le soutien social nécessaire à la poursuite d’une activité génératrice d’émotions fortes et de stress et en réduisant les potentiels clivages entre corps de métier.

Les moments de communication en face à face que représentent les temps de réunion font donc partie des éléments à préserver autant que possible dans le quotidien des structures sanitaires et médicosociales, que ce soit en matière d’organisation de l’espace (architecture des locaux, répartition des salles) ou de gestion des rythmes de travail.

Héloïse Haliday pour l'association Cerep-Phymentin, le 9 octobre 2019