2 avril : journée mondiale de l'autisme

Prendre soin de ces enfants et de ces jeunes implique aussi de prendre en compte toutes leurs diversités et la singularité irréductible de chaque individu.

Par Jacques Angelergues, vice-président de l'association Cerep-Phymentin 

 

Prendre en soin des enfants et des jeunes porteurs d’éléments autistiques significatifs requiert impérativement une attention spécifique et des moyens pluridisciplinaires spécialisés pour ne pas creuser des déficits, ni étendre des handicaps et pour promouvoir leur développement, le plus riche et diversifié possible, avec une véritable intégration dans les apprentissages sociaux et scolaires qui rendent possible des formations professionnelles.

 

Prendre soin de ces enfants et de ces jeunes implique aussi de prendre en compte toutes leurs diversités et la singularité irréductible de chaque individu. Tout enfant, tout jeune, chaque famille, chaque histoire, est unique. Il en va de même pour les enfants et les jeunes autistes : par delà la prise en charge des éléments autistiques et de leurs grandes spécificités, chaque enfant, chaque jeune doit être accueilli dans sa singularité personnelle et familiale. C’est la ligne de conduite absolue qui guide les équipes du CEREP, dans les engagements éducatifs, rééducatifs et psychothérapiques.

 

Le pays traverse une crise sanitaire sans précédent : nos patients, leurs familles et nos équipes y ont été brutalement plongés. Depuis le début du confinement et des exigences des mesures barrières, les équipes des centres de consultations, des hôpitaux de jour et de l’IME ont relevé le défi de ne pas sacrifier la continuité des soins à la protection contre la propagation du virus qui menace si dangereusement l’intégrité physique, la vie de chacun, celle des soignés, comme des soignants.

 

Dès le premier jour les équipes se sont réunies dans chaque institution pour mettre en place les moyens de la continuité des soins, dans le strict respect des consignes nationales de confinement. Le CEREP s’est doté d’une cellule de crise, composée de responsables de chaque type d’institution, de la direction générale, du président et du vice-président de l’association ; elle se réunit autant que de besoin pour coordonner l’action de tous et faire face aux multiples problèmes posés par la situation, pour la meilleure protection des patients et des salariés et pour soutenir l’organisation de la poursuite des engagements thérapeutiques.

 

Dans cette période critique, les regroupements sont prohibés pour ne pas mettre en danger la sécurité de tous, enfants, jeunes, familles et soignants, mais, dès les premiers jours, se sont mis en place un suivi personnalisé à distance de chaque situation, une écoute des familles et la possibilité d’un accueil physique ou de visite à domicile en cas de besoin. Il faut souligner l’engagement sans faille de tous les salariés de l’association, médecins, thérapeutes, rééducateurs, éducateurs, personnels administratifs et de maintenance, du siège et des administrateurs. Sans l’engagement de tous, rien ne serait possible.

 

En cette Journée Mondiale de l’Autisme, il faut souligner que cet engagement est décisif au premier chef pour les enfants et les jeunes porteurs d’autisme. Ces patients et leurs familles sont particulièrement impactés par les restrictions de circulation liées au confinement et par la limitation des ressources thérapeutiques que la lutte contre le virus COVID 19 nous impose, pour une durée encore indéterminée à ce jour.

 

Le soin aux enfants autistes encore et toujours…

Par le Pr Bernard Golse, président de Cerep-Phymentin et de la CIPPA (Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s'occupant de personnes avec Autisme et membres associés).

 

L’intersubjectivité est aujourd’hui un thème de choix pour la transdisciplinarité, un thème comme nous n’en avons jamais eu et qui devrait nous permettre de dépasser définitivement nos interminables querelles… En effet, la psychanalyse en passant de la théorie des pulsions à la théorie des relations d’objet, et les neurosciences en passant de leur côté de l’étude du cerveau isolé à l’étude du cerveau en relation (biologie de l’attachement, empathie et neurones-miroir, physiologie de l’imitation …) se retrouvent ensemble, en quelque sorte, sur le terrain du lien, soit de l’intersubjectivité, entre sujet et objet[1]. En dépit de cela, les polémiques perdurent, sans jamais s’apaiser.

Il va de soi que cela ne profite à personne, ni aux enfants, ni à leur famille, ni aux soignants, ni aux chercheurs, ce que chez Cerep-Phymentin, bien évidemment nous savons tous.

L’intolérance s’enracine toujours dans l’inculture et nous devons pourtant - coûte que coûte - accepter le débat et chercher à montrer ce que les soignants apportent aux enfants et à leurs familles, en dépit de tout ce qui est dit à leur propos et de toutes les attaques dont ils font l’objet. Si les psychanalystes peuvent se documenter assez facilement sur les neurosciences, l’inverse n’est pas vrai et il y a là un problème difficile à résoudre auquel la CIPPA s’attèle sans relâche[2]. Ceci étant, il existe aujourd’hui une vague neuro-développementale mondiale qui tend à considérer l’autisme comme une pathologie de type essentiellement neurobiologique qui n’appellerait que des méthodes d’aide de type comportementale ou rééducative.

En ce qui nous concerne, nous nous référons à un modèle de type polyfactoriel qui débouche tout naturellement sur des prises en charge de type multidimensionnelles au sein desquelles le soin garde toute sa place car être autiste est source d’angoisses archaïques intenses et parce que sortir de l’autisme ne va pas non plus sans risque de réactivation de celles-ci. Ceci vaut bien entendu de manière permanente à nos yeux mais une crise comme celle que nous vivons à propos de l’épidémie du coronavirus, nous montre de manière encore plus évidente à quel point la dimension du soin est essentielle.

Vivre avec un enfant autiste est une immense difficulté, mais vivre confiné avec un enfant autiste est une situation presque impensable…

Les équipes du CEREP maintiennent des liens à distance (par téléphone, par Facetime, par SMS, par Whatsapp…), c’est-à-dire de liens sans la présence effective des protagonistes de la rencontre. Maintenir, à tout prix, un holding suffisamment sécure exige une force d’innovation relationnelle extraordinaire de la part des uns et des autres qui se déploie aujourd’hui sous nos yeux, et cela démontre avec force combien cela répond à un authentique et permanent besoin de soin, épidémie de coronavirus ou pas !

Les enfants autistes et leurs familles ne sauraient donc se satisfaire de techniques par trop unidimensionnelles.

La réflexion se trouve aujourd’hui faussée par la grande confusion nosologique qui a été introduite par le concept-valise de « trouble du spectre autistique ». Tous les enfants présentant un tel trouble ont certes besoin d’aide, mais pas tous du même type d’aide. Le soin psychique repose sur un savoir-faire technique qui implique par essence l’accueil d’une part de l’autre en soi et là réside sa grande délicatesse et sa grande difficulté.

À l’heure d’une pandémie qui fait que notre société n’est plus en mesure d’enterrer ses morts dans la dignité, c’est bien d’humanité dont nous avons le plus besoin. Il se trouve que cette humanité passe aussi et fondamentalement par l’attention accordée à ceux d’entre nous qui sont les plus fragiles, les plus vulnérables et les plus en souffrance. Les enfants autistes font partie de ceux-ci et ils ont besoin de soin.

Parmi de nombreuses autres équipes soignantes qui s’appuient sur la psychopathologie psychanalytique, celles du CEREP font montre aujourd’hui, dans l’épreuve épidémique qui nous frappe, d’un engagement sans faille qui force l’admiration. La période de confinement qui nous est imposée a exigé le report d’un colloque qui devait avoir lieu le 30 mars, colloque qui aurait permis de mettre en valeur les recherches en cours ou accomplies ainsi que l’inventivité et la créativité au quotidien des équipes soignantes comme celles des patients autistes et de leurs parents. Ce colloque aura lieu après l’été mais d’ores et déjà soyons fiers de ce que nous sommes, et continuons à œuvrer ainsi contre vents et marée.

En dépit de la crise grave et profonde que traverse actuellement la pédopsychiatrie[3] je ne doute pas qu’un jour revienne où cette sagesse et cette attention à l’humain seront à nouveau reconnues comme des valeurs éthiques et professionnelles irremplaçables.


[1] Je renvoie ici le lecteur à mon ouvrage intitulé : « Mon combat pour les enfants autistes » (Éditions Odile Jacob, Paris 2013)

[2] Voir à ce propos le manifeste de la CIPPA (« Manifeste pour une prise en charge plurielle et éthique de l’autisme ») que j’avais eu l’occasion, en tant que Président de la CIPPA, de remettre en main propre à Mme Sophie CLUZEL lors de sa visite à l’IME du CEREP peu de temps après sa nomination

[3] B. GOLSE et M.R. MORO, La pédopsychiatrie ne veut pas mourir !, Libération, n° 11459, 30 mars 2018, p. 22