À propos de l’arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues : la logique scientifique de la HAS est pervertie par ceux qui l’utilisent
Un écrit de Denys Ribas, psychiatre, pédopsychiatre, administrateur du CEREP, ancien président de la Société psychanalytique de Paris, ancien médecin-directeur de l’Hôpital de Jour de l’Entraide Universitaire (hôpital de jour Francine Klein de l’Entraide Union aujourd’hui).
La nouvelle que l’administration de la santé se propose de payer forfaitairement des interventions auprès de jeunes enfants par des psychologues en libéral aurait dû nous réjouir profondément, et ce d’autant plus que son imprévoyance concernant la démographie des pédopsychiatres en restreint inexorablement le nombre et que l’attente s’allonge dramatiquement dans le service public et associatif.
Néanmoins il apparaît au contraire que cela accentue plusieurs dérives inquiétantes de ces dernières années.
- La réduction de la pathologie à des troubles neurodéveloppementaux qui sépare une part innée organique dans l’organisation de l’enfant. Si ces troubles existent indéniablement, ils s’intègrent à la personnalité et l’affectent, et celle-ci en retour en modifie le destin. André Bullinger a ainsi montré que le schéma sensori-moteur se construit. De même que les troubles psychotiques de la petite enfance sont maintenant confondus et inclus dans les troubles du spectre autistique, en déniant l’inquiétante spécificité. Une réification de la construction psychique s’accentue.
- Pour répondre au souhait de certaines associations de parents très militantes antipsychanalytiques et même antipsychiatriques, l’administration va réserver ces contrats à des psychologues répondant à leurs attentes et privilégiant le comportamentalisme et ce qui se prévaut de l’« éducatif » en en restreignant le sens au rééducatif. En justification, la référence est à nouveau faite aux recommandations de bonnes pratiques de l’HAS.
- En étant réservées aux plateformes, et par la part équivalente de l’évaluation et des rééducations, on retrouve cette étrangeté que les moyens alloués semblent privilégier diagnostics et évaluations plutôt qu’outils thérapeutiques dans la durée prenant en compte aussi la souffrance de l’enfant. Pour quelle maladie physique oserait-on viser à avoir les meilleurs moyens diagnostics mais pas les moyens de traitement ?
Ceci apparaît très contestable :
- S’il est essentiel de prendre en compte des entraves neurophysiologiques, comme aussi les anomalies génétiques ou les pathologies organiques – qui ont été parfois méconnues en des temps anciens – faut-il que cela soit au prix du déni du psychisme de l’enfant et de sa construction dans les relations avec autrui et de ses angoisses ou de son désespoir devant ses difficultés ? Nous pouvons prendre en compte les deux comme l’a montré par exemple la collaboration entre pédopsychiatre et généticiens.
- D’autre part l’assimilation postulée comme une évidence de l’autisme à un TND (trouble neurodéveloppemental) lui fait appliquer sans discussion des traitements comportementaux et rééducatifs.
- Alors qu’un médecin qui se tient au courant de l’évolution des connaissances reste libre (en tout cas dans le secteur sanitaire…) de ses choix thérapeutiques, est-il de la compétence de l’État d’arbitrer des controverses scientifiques dans une société démocratique ? L’État pourrait exiger que le public soit informé des orientations des praticiens et il a réglementé l’usage du titre de psychothérapeute. De ce fait je m’interroge sur la légalité de cet arrêté.
- La référence à la HAS semble résoudre cette question en lui confiant le rôle d’arbitre, mais deux biais n’en font pas un arbitre impartial.
- La médecine étayée sur des preuves objectives (Evidence Based Medecine) est bien plus adéquate pour observer la modification d’un comportement sur une durée courte qu’une construction de la personnalité avec sa subjectivité sur une durée longue. Elle est donc épistémologiquement homogène avec le comportementalisme et pas du tout avec la complexité de la construction psychique. Pourtant, ce qui était prioritaire pour les parents d’enfants en grande difficulté que j’ai rencontrés, c’est « Que deviendra-t-il plus tard, surtout quand nous ne serons plus là ? ». Et là, la capacité de vivre avec d’autres en sachant se faire aimer et respecter est essentielle.
- De manière très curieuse, les recommandations de la HAS concernant la thérapeutique de l’autisme datent de 2012, mais les études réalisées depuis n’ont pas été prises en compte. Par exemple l’étude de Thurin et collaborateurs montrant l’efficacité des psychothérapies avec des critères scientifiques. En revanche d’autres études et des expérimentations ont montré la déception devant les résultats de l’ABA. Inefficace à 70 % dans une étude américaine… (Tricare)
- La logique scientifique de la HAS est pervertie par ceux qui l’utilisent. Les pratiques non recommandées ne le sont pas parce qu’elles auraient fait la preuve de leur inefficacité et seraient non recommandables, mais parce que l’évaluation n’a pas permis de juger sur des bases objectives. Par ailleurs la HAS le précise elle-même certains avis cependant ne sont pas étayés par des preuves : « En l’absence d’études, les recommandations sont fondées sur un accord entre experts du groupe de travail, après consultation du groupe de lecture. L’absence de gradation ne signifie pas que les recommandations ne sont pas pertinentes et utiles. Elle doit en revanche inciter à engager des études complémentaires. » Le choix des experts est donc déterminant dans les orientations proposées.
Après les récentes tentatives de destituer la pédopsychiatrie et la psychologie fondées sur la psychopathologie au profit du comportementalisme, comme récemment en Nouvelle Aquitaine avec déjà le détournement des TND, les autorités de la santé sortent encore de leur rôle au détriment de l’humain qu’elles devraient protéger dans les soins.
Denys Ribas
►Le 27 mai 2021
Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandations de l’HAS du 7 mars 2012.