En guise d’ouverture :
S’accorder, se désaccorder, se réaccorder
« La vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil » Frédérick Nietzsche
La musique compte infiniment dans ma vie et je suis donc très heureux que la métaphore musicale ait été choisie comme fil rouge de ce rapport d’activité.
Dans mon champ professionnel, quand je pense à la musique, je pense tout d’abord au bébé et à tout ce que Daniel N. Stern nous a apporté avec son concept d’accordage affectif tout en sachant que la clinique du bébé nous permet aussi de penser la clinique des pathologies archaïques ainsi que celle des institutions.
Le concept d’accordage affectif ou d’harmonisation des affects peut nous aider, me semble-t-il, à nous représenter le travail des équipes et le fonctionnement d’une association comme la nôtre.
Ce concept renvoie en effet à l’idée des instruments d’un orchestre qui s’accordent avant de jouer ensemble de manière synchrone (du point de vue rythmique) et ajustée (du point de vue tonal).
On sait qu’il n’y a pas d’accordage affectif idéal au sens statique du terme mais seulement d’un point de vue dynamique : l’important est de pouvoir se réaccorder après des moments de désaccord ce qui vaut d’ailleurs tout autant pour les dyades mère/bébé que pour les couples ou les institutions.
Si l’accordage affectif est un moyen de se reconnaître par la spécificité du style interactif et d’être en résonnance émotionnelle en-deçà des mots, la synchronisation des flux sensoriels est une condition sine qua non de l’accès à l’intersubjectivité et donc à la subjectivation.
A partir de là, portons plus loin la métaphore de l’accordage et de la synchronie dans le cadre de l’institution, c’est-à-dire de la « constellation transférentielle » à l’œuvre au sein des établissements :
L’accordage affectif se doit de fonctionner de manière vivante entre les patients et nous, mais aussi entre les différents membres de l’équipe
Au niveau associatif, la synchronisation des rythmes institutionnels fonde l’identité groupale (associative) tout en garantissant une différenciation suffisante de chacun des établissements.
Il me semble que dans un contexte aujourd’hui fort dissonant, le CEREP envoie sans relâche un message suffisamment harmonieux pour être souligné et c’est évidemment un point dont nous pouvons tous être collectivement fiers.
Bien entendu (c’est le cas de le dire !), il en va de l’harmonie comme de la santé mentale au sens de D.W. Winnicott : l’harmonie ne se définit pas plus par l’absence de dissonance que la santé mentale ne correspond à l’absence de symptômes, la question étant de savoir ce que nous faisons de créatif avec nos « grains de folie » et avec nos dissonances.
On a pu dire qu’il n’y avait pas de musique moderne ou de musique classique, mais seulement de la musique … bonne ou mauvaise !
Alors, dans nos institutions, s’il y a la musique des patients et celle des professionnels - musiques de la vie, musique des souffrances, musique des soins – peu importe les générations pourvu que ces musiques soient justes et sans fausse note.
Nos patients jouent leur partition et nous proposent un rythme, à nous de nous y inscrire sans se demander qui conduit la danse ?
Martial Solal disait qu’improviser c’est avoir le sentiment de se tromper sans cesse et de se rattraper toujours.
Telle est sans doute notre tâche primaire.
Vive la musique et vive le CEREP !
Bernard Golse, le 21 juin 2023