Chers collègues, Chers administrateurs,
Chères représentantes des familles,
J’ai le plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui, et surtout la chance de travailler avec vous toutes et vous tous dans cette association que l’on nomme aujourd’hui le « CEREP PHYMENTIN ». Centre de Rééducation Pyschothérapique - Promotion de l’Hygiène mentale Infantile. Je ne sais pas ce qu’il faut retenir de ces significations anciennes et des termes quelque peu datés de ces deux sigles, cependant le nom composé de l’association CEREP PHYMENTIN est identifié dans nos secteurs et réseaux d’activité.
Pour certains, il signifie fusion, histoires, institutions, enfants, patients, stage, carrière, psychodrame, thérapies familiales, orthophonie, médiations, réunion de synthèse, art thérapie, espace de créativité et de pensée, rencontres amicales…, livret « Mon enfant va dans un hôpital de jour ». Chacun y trouve, j’imagine, ses missions, ses raisons et ses passions. Deux associations, deux histoires et deux équipes se sont mêlées en 2013 pour tenter de définir et de construire une trajectoire commune.
Cette trajectoire de l’association CEREP PHYMENTIN, c’est celle de continuer à soutenir les institutions et les équipes, de permettre aux équipes et aux professionnels d’être suffisamment autonomes, créatifs et libres, et de plus garantis dans leur fonction et leur mission, pour accueillir, accompagner et apporter des soins aux enfants, aux adolescents et leur famille dans les difficultés qu’ils rencontrent.
Nous ont rejoint en 2017 l’équipe du CMPP Saint-Michel, en 2022 celle de la crèche, puis du CMPP de Courbevoie. Nous sommes aujourd’hui 190 professionnels salariés dans cette association. Nous venons peut-être vérifier aujourd’hui que nous nous connaissons bien les uns les autres. Qu’est-ce que l’on m’a transmis, qu’est-ce que je peux transmettre aux suivants et qu’est-ce que je transmets à mon contemporain (de collègue) que j’ai plaisir ou pas de côtoyer au quotidien dans mon institution ?
La dernière journée associative s’est tenue en 2017 à la Maison des associations et nous avions alors retenu la question de la recherche. Cinq recherches menées dans nos établissements avaient été présentées.
La journée prévue au printemps 2020 a été annulée et aurait dû être consacrée au travail institutionnel.
Aujourd’hui, en 2024, nous parlons des transmissions.
Cependant, l’association CEREP fête aussi cette année ses 60 ans et à l’heure où elle renouvelle ses marques explicites (site internet, graphisme, logo) elle pourrait y inscrire « Maison réputée, de clinicien en clinicien depuis 1964 ». Mais qu’est-ce que cela signifierait et de quoi cela serait-il un gage ?
Qu’est-ce que toutes les équipes de professionnels se sont transmises, les unes aux autres, pendant toutes ces années dans les établissements, hôpitaux de jour, IME, CMPP, CMP, COPES, crèche, siège ?
Que nous ont transmis ou légué les fondateurs, Denise Weill, Raymond Cahn et Michel Soulé ? Que nous ont-ils laissé ou qu’ont-ils engendré ? Des figures, des images, des connaissances, des savoirs, de la pensée, des envies, de la créativité, de la curiosité,… autre-chose ?
Existe-il des recettes secrètes de grands-mères, des méthodes ou même des outils rares et précieux qui se transmettent au fil du temps de génération en génération de professionnels?
La transmission orale et écrite, par l’art, l’éducation, le numérique, la formation, l’enseignement, le jeu….
Dans les sociétés, à l’école, en famille, dans les institutions, quels sont les opérateurs de ces transmissions passives et dynamiques ?
Notre association CEREP PHYMENTIN nous réunit ce vendredi 22 mars 2024 pour réfléchir ensemble et penser « les transmissions ».
J’ai choisi d’intituler cette intervention « La transmission des cultures ou la culture des transmissions »
Avant cette journée j’ai pu rencontrer Nicolas, stagiaire psychologue au CMPP DW de 1984 à 1986, puis psychologue à l’hôpital de jour André Boulloche en janvier 1987, puis psychologue au CMPP Denise Weill à partir de septembre 1987, puis directeur au CMPP Denise Weill et à nouveau psychologue psychothérapeute en cumul emploi retraite. Je lui ai demandé de me raconter.
Quarante ans au CEREP :
« Le CMPP est né après l’hôpital de jour Boulloche, le « Petit atelier », rue Bachaumont, puis il y a eu la post-cure, le CMPP. Il y avait à l’époque des rivalités entre les établissements comme dans une famille d’ailleurs. Les fondateurs avaient une emprise assez forte. Le CMPP était vu comme le vilain petit canard, les professionnels étaient vus comme ceux qui s’occupaient des enfants qui faisaient pipi au lit. Puis au CMPP, l’identité s’est créée petit à petit jusqu’aux mouvements de crise entre 2003 et 2006. L’équipe s’est soudée pendant la crise ; les professionnels se retrouvaient au Select tous le mardis soir.
On a commencé à parler de fusion à partir de 2010. Cette fusion était redoutée par l’équipe du CMPP.
La fusion a permis de créer quelque chose au niveau des directions et des instances transversales comme le CSE - Comité Social et Economique.
On est sorti de la dimension familiale pour avoir une dimension professionnelle au niveau associatif. La fusion s’est passée et ça a été un soulagement pour tout le monde. CEREP PHYMENTIN est un nom, on est une association et on a réussi à se mettre ensemble ».
De mon point de vue, ce témoignage succinct raconte, certes dans de très grandes lignes, les quarante années de Nicolas au CEREP, mais aussi une trajectoire professionnelle individuelle et des expériences d’équipe, par grandes étapes et au regard d’événements marquants, la crise institutionnelle et la fusion : les institutions ne sont pas un long fleuve tranquille.
A côté du témoignage de Nicolas, je souhaiterais rapporter un extrait du Conseil d’administration de l’APTMPP -nAssociation pour la promotion des Techniques Médico-Psycho-Pédagogiques fondée le 14 septembre 1964.
L’APTMPP, qui a pour but (Art.1 des statuts) « de favoriser l’application des techniques médicales, psychologiques et pédagogiques susceptibles d’aider à la réadaptation d’enfants présentant des troubles neuro-psychiatriques et, notamment, de gérer le Centre de réadaptation psychothérapique ».
L’ATPMPP est devenue le CEREP le 26 mai 1972.
Lors du premier Conseil d’administration le 20 octobre 1964, il est évoqué en ces termes dans les questions diverses :
« La participation des parents comme membres de l’association a été évoquée. Il a été décidé qu’il y aurait un représentant au Conseil d’administration et qu’il pourrait constituer sur leur demande une amicale de parents d’élèves. Par ailleurs les parents d’élèves ne pourront être membres que lorsque leurs enfants ne seront plus dans le centre. »
A l’heure où l’on repense les groupes de travail de manière collégiale dans l’association pour l’élaboration du projet associatif, pour le site Internet, le rassemblement possible de la CDU et du CVS, de pouvoir soutenir une association de parents au niveau du CEREP PHYMENTIN, je m’aperçois que tout cela était déjà d’actualité il y a soixante ans. Récréer une association de parents.
Pourtant, transmettre, ce n’est pas répéter le passé, c’est engendrer l’avenir, ce n’est pas reproduire, c’est poursuivre un élan. Qu’est-ce qui a été transmis ou entretenu pour que cette ouverture demeure ?
Lorsque l’on retrace l’histoire de l’association ou des institutions on s’aperçoit qu’il y a toujours des périodes de creux, des moments arides ou de crises, des périodes fructueuses, de développement,… liés à des éléments endogènes ou exogènes, parfois les deux, pour toutes les institutions et toutes les équipes, sans exception.
Comment construire ce qui fait équipe et institution tout au long de l’histoire au fil du renouvellement des professionnels ?
Ce qui relève de la transmission, ce n’est pas tant les contenus, les connaissances ou les faits qui sont importants, mais plutôt que je puisse comprendre à travers celui qui me transmet que c’est bien d’une remise en question dont il s’agit pour pouvoir remettre mon travail en perspective d’ouverture et de découverte. Ainsi, Il ne s’agit pas de donner, d’imposer un savoir, mais rendre l’autre capable de se laisser traverser. Il y a du mouvement et non un passage d’un état figé à un autre état figé. Cela nécessite une mixité d’âge et d’expérience, tous les professionnels n’arrivent pas en même temps et ne repartent pas en même temps.
La transmission des cultures - cette question a été très saillante lors de la fusion du CEREP et de PHYMENTIN. Nicolas l’a dit, la fusion était crainte par l’équipe - qu’allons-nous perdre en accueillant les autres ? Question très piquante dans une période ou les fusions absorptions de fond en masse avec la bénédiction de l’ARS, courrier transmis en 2010 à chaque association gestionnaire par Claude EVIN le DG de l’ARS de l’époque.
Très rapidement avec C. Bonal , J. Metz, côté CEREP et Martine AGMAN et moi côté PHYMENTIN, nous avons eu en tête de rassurer les équipes en leur disant : l’idée est bien de préserver la spécificité de chaque institution du CEREP et de PHYMENTIN. Cela a été dit et redit à de très nombreuses reprises. Par la spécificité de chaque institution, on entendait là la culture.
10 ans après, il me semble que nous avons respecté chaque institution, chaque équipe dans son intégrité, sa culture, ses activités et ses rythmes.
Un métissage s’est opéré au sein du CEREP PHYMENTIN. Ce n’est pas de l’acculturation, mais bien un métissage, et c’est pour cela que l’association est forte car elle permet différentes cultures en son sein, des cultures d’institutions, d’équipes, des cultures professionnelles, de métiers… et chacun respecte cela. C’est devenu une véritable culture au CEREP PHYMENTIN que de considérer la parole de l’autre, quel qu’il soit, de se laisser traverser et d’envisager le sujet ou la question dans une remise en question et une remise en perspective de la réflexion ou de l’action.
Alors, aujourd’hui, l’enjeu, c’est la transmission de cette culture que nous entretenons tous dans nos institutions, dans les instances transversales, comité technique, CME, CSE, bureau et toutes les réunions. Comment faire pour continuer de transmettre cette culture, quand l’activité est de plus en plus contrainte, quand on veut nous imposer des modèles de prises en charge, quand les politiques publiques de santé sont des politiques économiques de la santé, quand les pouvoirs publics veulent transformer les institutions en plateformes …, alors que les besoins des enfants, des adolescents et des familles sont de plus en plus criants ?
Je pense qu’il faut résister. Je pense que nous résistons depuis longtemps. Pour moi résister, c’est continuer d’être créatif, de penser et de transmettre la manière dont nous pensons.
Enfin, je dirai que transmettre, ce n’est pas seulement donner des informations, livrer des connaissances, c’est aussi se transmettre « soi » en tant qu’être humain car ce que l’on transmet est également fait d’émotions, de passions, de désir. Transmettre, c’est éveiller l’autre à l’envie d’être « soi-même », éveiller le soi de l’autre et non le construire à sa propre image. Il me semble que ce qui est valable pour chacun d’entre nous l’est aussi pour nos institutions. On ne peut pas fabriquer des établissements qui fonctionnent sur un modèle en gommant toutes les différences, en voulant que tous fonctionnent de la même manière.
Continuons de faire vivre et de transmettre les différences pour encore 60 ans !
Grégory Magneron, le 22 mars 2024