Si le futur de notre démocratie se jouera dans les urnes les 30 juin et 7 juillet prochain, nécessitant bien sûr les votes de tous.tes, il se joue déjà tous les jours au sein même de nos établissements auprès des enfants et adolescents que nous accueillons. Que ce soit pour réclamer une meilleure cantine, solliciter l’achat d’une PS5 dans la salle de jeux de l’IME, ou encore exprimer le souhait - seul ou via un parent - de retourner à l’école ordinaire à mi-temps, personne ne peut dire qu’ils ne font pas bouger, à leur petite échelle, leur vie quotidienne et dans un même élan celle de l’association.
Ce mot à dire, cette main à la pâte pour rajouter son grain de sel, ont toujours été encouragés par le Cerep, notamment dans une démarche de soin thérapeutique où apprendre au jeune à faire entendre sa voix est un moyen d’aller vers la bonne voie. Cependant, il est important de rappeler que cette participation du patient au bon fonctionnement de son établissement et de sa prise en charge fait aussi partie intégrante de ses droits protégés par la loi. Alors aujourd’hui pour en apprendre plus sur ses droits - ou simplement vérifier que vous n’êtes pas hors-la-loi -, retour sur les textes qui ont voulu remettre le patient au cœur de l’action sociale et la démocratie au cœur de son parcours spécial !
Cette loi, c’est celle du 2 janvier 2002 portant sur la rénovation de l’action sociale et médico-sociale. Elle est l’acte I d’une série de lois qui remplacent les précédentes et régissent encore aujourd’hui l’accueil et les droits des personnes bénéficiaires de prestations d’action sociale et médico-sociale dans les établissements spécialisés comme les nôtres. Mais alors que nous dit ce texte ?
Tout d’abord, une définition claire de l’action sociale, qui mérite d’être citée, car elle constitue le nouveau fil conducteur qui rebat les cartes pour les différents acteurs du secteur à toutes les échelles. Ainsi, l’action sociale, c’est l’action qui tend à promouvoir “ l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté, [et] à prévenir les exclusions et à en corriger les effets.” (article 2). Ici, la principale nouveauté, c’est de remettre en avant l’exercice de la citoyenneté pour tous comme priorité de l’action sociale. Il s’appuie directement sur le fameux article 1 de la DDHC de 1789 : “ Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ”. Cependant, comme nous le savons tous très bien, tous les citoyens sont différents et ne naissent pas libres et égaux naturellement, et encore moins dans les cases standardisées qui définissent aujourd’hui leur valeur aux yeux de la société. C’est donc à l’Etat de reconnaître et garantir, via l’action sociale, l’efficience des droits et libertés des plus vulnérables au même titre que le reste de la population.
Pour cela, le texte propose une énumération des droits sacrés détenus par l’ “ usager citoyen ” lors de sa prise en charge dans un établissement social et médico-social. Parmi eux, le libre choix consenti et éclairé des prestations qui lui sont proposées, une participation à la mise en œuvre de son projet d’accompagnement individualisé, ou encore une information sur ses droits et la manière de les faire valoir. Ce replacement de l’usager et de ses droits au centre de l’attention de la loi témoigne d’un nouveau regard porté sur lui. En effet, pour la toute première fois, on passe d’un usager passif à un acteur libre du choix de sa propre prise en charge. En clair, on passe d’un modèle protecteur d’assistanat à un modèle se voulant plus participatif et visant à le rendre moins dépendant de l’aide qu’il obtient, contrairement à ce qui était le cas auparavant. En effet, si l’exercice de la citoyenneté est désormais inscrit noir sur blanc dans l’article 2 de la loi de 2002, la protection des personnes, elle, est gravée dans le marbre depuis bien plus longtemps, puisqu’elle représente l’idéal fondateur de l’action sociale entamé dès la fin de la Seconde guerre mondiale ; en 1944, le programme de refondation du CNR (Conseil National de la Résistance) prévoit “ un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence ”. Par la suite, le Préambule de la Constitution de 1946 affirme durablement dans le Droit suprême ce rôle prépondérant de l’Etat à protéger les personnes : “la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs”. Permettre le respect des droits du citoyen à chacun ne fait alors pas partie des grandes missions poursuivies par la protection sociale. Cela n’en fera pas plus partie dans la loi de 1975 relative à l’action sociale et médico-sociale, mais en deviendra finalement une en 2002, d’où l’importance de cette loi.
Sur le papier, tout cela sonne bien, très bien même. Mais si l’on redescend les pieds sur terre, coupler le libre-arbitre de l’individu avec les propositions éclairées du personnel soignant pour sa protection est un défi de taille. Pour le relever, le législateur a préparé de nouveaux outils de terrain à destination directe des services sociaux et médico-sociaux : l’IME nous a ouvert ses portes pour nous les montrer ! Alors en application concrète auprès de nos jeunes, ça donne quoi ?
Tout d’abord, il y a le Conseil de la vie sociale, instance participative qui permet aux personnes accueillies de communiquer avec l’équipe pour toute question ou proposition les concernant. Obligatoire pour tout établissement assurant un hébergement ou un accueil de jour à des personnes de plus de 11 ans, il doit se tenir a minima 3 fois par an. Pour Chrystèle Bouix-Esnard, directrice adjointe à l’IME, le CVS est avant tout un “ lieu d’échange ” dans lequel les jeunes ont un réel “ pouvoir d’expression et d’argumentation ” pour améliorer leur quotidien au sein de l’établissement : “ Tout le monde est sur un même pied d’égalité et peut librement s’exprimer durant ces réunions : jeunes, parents et personnel accompagnant ”. Le collège des jeunes est représenté par les délégués élus de chaque groupe de jeunes, ainsi que par un Président et Vice-président élus par les délégués. De cette manière, les intérêts de chaque groupe de jeunes peuvent être défendus et leurs propositions remontées communément à l’avance pour établir l’ordre du jour du CVS. Elles sont ensuite soumises durant le CVS : “ On doit aussi décider en fonction de nos ressources et de la compatibilité du projet par rapport aux jeunes ”. Le fin mot de l’histoire revient donc toujours à la direction de l’établissement, mais après temps d’écoute, d’échange, et de prise en compte de l’avis de chacun autour de chaque proposition. Un compte rendu écrit est rédigé en fin de séance afin de garantir la bonne application de tout ce qui a été décidé.
Ensuite, il y a le règlement de fonctionnement, règlement intérieur qui fixe les droits et devoirs des personnes accueillies au sein de l’établissement. Il doit être validé par le CVS, et être inscrit dans le livret d’accueil, aux côtés de la Charte nationale des droits et libertés du nouvel arrivant et de son contrat de séjour. Le but de cet outil est d’informer la personne accueillie sur ses droits et libertés et comment les faire valoir. Cependant, dans le cas de l’IME, il apparait difficile d’informer correctement les jeunes suivis : “ On sait bien que tous les jeunes qui viennent ne savent pas forcément lire ou ne seront pas capables de respecter leurs devoirs du fait de leurs troubles. En revanche, les parents, eux, le pourront. ”
Enfin, il y a le projet personnalisé, qui permet à chaque personne accueillie d’avoir un suivi continu et adapté à ses besoins. A l’IME, il évolue grâce à une rencontre avec le jeune, puis les parents, 1 fois par an. Cette consultation tripartite permet d’écouter le jeune et de recueillir l’accord des parents pour le renouvellement de son parcours : “ On cherche à tout prix l’alliance thérapeutique avec les parents pour obtenir la meilleure prise en charge possible pour le jeune. ”
D’après Chrystèle Bouix-Esnard, la loi de 2002 sécurise les droits de l’ “ usager citoyen ” mais contraint aussi les établissements à certaines règles parfois trop strictes : “ L’obligation de faire 3 CVS par an est par exemple une bonne idée sur le papier, mais excessive chez nous car c’est notre mission même d’être constamment à l’écoute des jeunes pour les faire s’exprimer quotidiennement le plus possible ”. Et il est vrai que l’IME est loin de se restreindre à la loi de 2002 pour faire vivre la démocratie dans l’établissement : rencontre professionnels-jeunes pour discuter calmement de sujets sensibles (tel le conflit Israël-Palestine qui en angoisse plus d’un) ou encore ateliers radio animés par les jeunes, les innovations ne manquent pas ! Par conséquent, certains CVS viennent simplement réitérer des questions déjà abordées dans l’institution, et doivent donc se dérouler même en l’absence de réelle demande d’expression de la part des jeunes.
Au-delà de la question des diverses formes de participation, Chrystèle Bouix-Esnard dénonce aussi une hypocrisie de l’Etat sur le soi-disant libre-arbitre du patient : “ Le remplissage du DUDA (Dossier Unique d’Admission) et du Cerfa, malgré son désir de simplification par l’Etat, reste bien trop complexe à faire seul par les parents qui veulent inscrire leur enfant. Il y a trop d’administratif, que ce soit pour nous ou pour eux”. La lourdeur administrative du terrain rattrape donc ici bien vite l’idéal juridique que voudrait nous imposer la loi.
Néanmoins, malgré ces aspects contraignants et la paperasse ajoutée que ne méritaient certainement pas nos institutions, il est indéniable que la loi signe un véritable progrès, car si l’IME est bon élève et utilisait déjà diverses formes de participation par souci éducatif bien avant leur imposition, inutile de dire que tous n’en faisaient pas autant. Ainsi, la loi a permis une harmonisation et démocratisation des outils d’expression citoyenne à tous les établissements spécialisés de France, ainsi que la garantie de leur respect grâce à des contrôles réguliers.
Pour se refocaliser sur l’association, la question qu’il faut se poser maintenant est comment adapter ces outils aux particularités et besoins de chacun des enfants que nous accueillons ? Chrystèle Bouix-Esnard s’avance : “Ce qu’il faut absolument faire, c’est donner du sens aux outils que nous donne cette loi en les liant à la mission que nous menons”. Utiliser l’exercice de la citoyenneté comme partie intégrante du parcours du jeune donc, voilà peut-être un début de solution. La démocratie est un formidable moyen pour leur épanouissement, alors profitons-en et surtout cultivons-la à tout prix !
Merlin Tisseron-Clément, stagiaire au siège de l'association Cerep-Phymentin, le 25 juin 2024