Quand je suis arrivé, c’était avec Mr B. J’avais l’impression que c’était une équipe très tolérante et réceptive et qui laissait beaucoup de liberté et d’espace pour proposer des activités. Les adolescents d’alors présentaient des troubles du comportement et il y avait aussi au moins 5 jeunes trisomiques et un autiste.
De la sociologie à l’ethnopsychiatrie
Titulaire d’une Licence de sociologie, Jorge prépare son diplôme d’éducateur spécialisé, effectue un stage pendant 9 mois dans un hôpital de jour pour adultes autistes et obtient son diplôme en 1992. Il travaille alors trois années consécutives dans un CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale).
En raison de ma formation universitaire, j’ai toujours abordé mon métier d’éducateur davantage sous l’angle culturel voire ethnologique dans la mesure où l’on accueillait aussi des jeunes de différentes origines. Ça m’a inspiré pour certaines activités que j’ai pu mener dont l’atelier « Connaissances du monde » par exemple. Il s’agissait d’exploiter le vécu de chacun même si pour la plupart, les adolescents étaient tous nés en France. À une époque d’ailleurs, on a fait de l’ethnopsychiatrie pendant un an avec un médecin psychiatre et un autre professionnel qui travaillaient à l’hôpital de jour Montsouris. Chaque groupe de référence présentait un cas. Le médecin psychiatre faisait une analyse en tenant compte des origines du jeune, de son environnement culturel, de ses influences, de sa famille…
En passant par la musicothérapie
J’ai toujours joué de la musique mais sans jamais me considérer comme un musicien dans le sens où je n’en ai pas vécu. La musique, je l’ai utilisée durant mon stage pour être éducateur. Il y avait alors un jeune autiste qui était mutique : il n’utilisait pas ses mains qui étaient toujours derrière son dos et il était par terre. Grâce à la musique, il s’est mis debout, a joué avec ses mains et a dansé. C’est ainsi qu'en arrivant à l'IMPRO j’ai suivi une formation en musicothérapie pendant 2 ans, à raison d'une semaine par mois.
Une improvisation personnelle pour rejoindre un ensemble
J’ai commencé mon atelier en apportant mon matériel - des congas, des petites percussions. Cela permettait de faire participer 8 ou 9 jeunes. Certains étaient doués pour ça. Mais c’était surtout bien pour ceux qui avaient des difficultés à s’exprimer oralement. Il y avait alors un échange entre jeunes qui parfois ne se côtoyaient pas en semaine. Cela développait le sens de leur créativité. J’utilisais beaucoup l’improvisation. Cela commençait par la proposition d’un jeune pour finir dans un travail collectif. Et puis, j’enregistrais les créations.
J’ai travaillé aussi avec un éducateur qui faisait du hip-hop. Je me suis demandé comment mélanger deux expériences différentes, à la fois musicale et corporelle. On s’est mis d’accord et on a travaillé ensemble.
J’ai souvenir aussi de deux expériences particulièrement réussies. Une au bénéfice de l’Unicef à la mairie du 20e. Il y avait des gens de l’atelier « art brut » de notre établissement qui participaient. C’était la première fois que l’on était confronté à un vrai public.
Une autre expérience aussi, quand le groupe théâtre a commencé à travailler avec le centre Curial où il y a un studio d’enregistrement. On a connu un groupe de musiciens qui ont accepté de travailler avec nous. C’était une forme d’ouverture.
Découvrir les autres et partager
Cela m’a inspiré pour faire mon mémoire en musicothérapie. Parmi les 2 cas que j’avais présentés, il y en avait un qui portait sur un jeune qui avait commis un acte très grave. Très sincèrement, je ne voulais pas travailler avec lui, j’étais mal à l’aise : je ne savais pas comment l’aborder et il se trouve qu’il avait été inscrit dans mon atelier. Grâce à la musique, la relation est devenue possible avec moi. Mes préjugés ont complètement disparu. Il y avait un respect mutuel.
Pendant plus de 20 ans, j’ai aussi toujours partagé des ateliers avec d’autres professionnels de l’IME (éducateurs techniques, psychomotricienne, infirmière) : cela m’a permis de côtoyer des gens avec des parcours et des expériences différents.
On voit aussi les jeunes d’une autre façon. Dans l’atelier restauration, je sentais chez eux une fierté quand ils fabriquaient des gâteaux pour les parents, les samedis d’ouverture. Il y avait aussi le service hôtelier mis en place dans les années 2010. Des jeunes plutôt agressifs se transformaient complètement en passant d’atelier en atelier avec leur chariot pour proposer du thé, du café et des mignardises. C’était un changement radical de posture.
Il y a certaines activités qui les mettent vraiment en valeur, comme la création aussi. Ils sont à la recherche d’une reconnaissance qu’ils ne trouvent parfois pas dans le milieu familial. Souvent le dernier samedi d’ouverture, à la veille des grandes vacances, c’était les portes ouvertes et l’on montrait tout ce qu’ils avaient créé. Les parents eux-mêmes étaient étonnés de voir que leurs enfants soient capables de produire quelque chose.
Un dernier conseil pour la nouvelle génération d’éducateurs ?
Fin des années 90, j’ai senti venir et monter la violence dans les institutions. Je pressentais que les adolescents pouvaient passer à l’acte avec nous. J’ai d’ailleurs proposé une année de réfléchir sur « la transgression et la loi dans l’établissement ».
En résumé, en situation de conflit avec un adolescent, il faut toujours utiliser le tête-à-tête. Avant que ça n’explose, il faut séparer le jeune du groupe. Et puis pour moi, quand quelqu’un est en situation de crise ou en ébullition, il faut être en situation inverse.
Un regret ?
Une formation pour être chef de service : je l’ai envisagée mais cela ne s’est pas fait.
Un projet ?
Créer une maison d’hôte au Chili, dans mon pays d’origine.
La patience
L'intolérance
L'écoute
La musique qui m'inspire le plus
►Retrouvez cet article dans notre newsletter TEMPO 10 de décembre 2018.