Orthophonie : expérimenter les différences

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En décembre dernier, nous avons eu le grand plaisir de nous entretenir avec Jessica Jones, une jeune Américaine de San Francisco. Elle est arrivée en France en septembre 2023 avec un programme chargé. Cours en ligne pour être orthophoniste après avoir obtenu un diplôme de « développement humain » aux Etats-Unis, stagiaire à l’hôpital de jour André Boulloche et nounou après l’école.

Jessica connaît bien les enfants autistes et sa venue chez nous n’est pas le fait du hasard. Elle voudrait découvrir et comparer les approches culturelles : comment travaille-t-on en effet avec les personnes neurodivergentes selon que nous sommes français, américains ou, anglais comme c’est aussi le cas d’Elise Green ?

  • Jessica, pourriez-vous nous en dire plus sur votre diplôme intitulé « Développement humain » ? A quoi prépare-t-il ?

C’est un diplôme généraliste permettant ensuite de suivre des études d’infirmier, de psychologue, d’orthophoniste ou d’ergothérapeute.

  • Comment avez-vous pris contact avec l’hôpital de jour André Boulloche ?

Ma tante a un fils qui est pris en charge en orthophonie par Elise Green. Elle nous a mises en contact.

  • Quelles sont vos premières impressions à l’hôpital de jour André Boulloche ?

Je ne saurais même pas l’expliquer dans ma propre langue.

Aux Etats-Unis, les centres comme ceux-là sont très rares. Les enfants sont généralement intégrés dans des salles spécialisées dans des écoles « normales ». On a davantage d’inclusion.

J’ai beaucoup travaillé avec des enfants autistes ainsi qu’avec un autre enfant aveugle et muet. Ils étaient mélangés aux neurotypiques.

L’hôpital de jour ressemblerait davantage à un ensemble de services proposés là-bas.

L’école publique n’offre pas aux Etats-Unis de services adéquats pour des enfants neurodivergents.

Les écoles un peu plus spécialisées sont privées.

  • Comment cela se passe-t-il alors si les parents ont peu de revenus ?

Ils doivent faire la démonstration que l’école publique ne répond pas précisément aux besoins de leur enfant. L’enfant peut aller dans le privé et c’est alors pris en charge par l’Etat.

Il est aussi possible de demander de l’argent au gouvernement pour que l’enfant bénéficie de plusieurs prises en charge.

  • Pensez-vous que la société américaine soit plus inclusive que d’autres ?

C’est difficile de répondre parce que le sujet m’intéresse beaucoup et que les gens qui m’entourent sont davantage dans l’inclusion.

Quand je parle à ma famille et que je leur explique tout ce que j’ai appris au niveau de l’inclusion, ils sont très ouverts mais ce sont des choses auxquelles ils n’ont jamais pensé.

Je pense que la société américaine est plus inclusive. Je suis nounou et je vais au parc après l’école et je parle avec d’autres nounous qui sont françaises. Leur façon de penser même pour garder des enfants est différente.

J’ai beaucoup échangé avec elles en lien avec mon diplôme de Développement humain : comment fait-on pour parler avec des enfants, comment enseigner des règles ? Je vois que notre façon de parler et d’entrer en contact avec les enfants est différente. Les nounous françaises sont plus strictes.

Un des enfants avec lequel je travaille a beaucoup d’énergie. Parfois cela dégénère quand il joue avec ses amis qu’il tape. Les réactions des autres nounous sont de me dire qu’il faut que je réagisse, que je crie. Moi, je vais lui demander pourquoi il a fait ça, j’essaye de lui expliquer qu’il a ses propres émotions mais qu’il ne peut pas s’exprimer comme ça avec les autres. Je pense aussi que cela prend plus de temps de parler de cette manière avec lui.

  • Que se passe-t-il dans la société américaine quand on est porteur d’un handicap et que l’on cherche un emploi ?

C’est difficile. Il y a des programmes pour aider mais souvent cela dépend des diagnostics.

Le travail proposé ne paie pas beaucoup. Je pense que le gouvernement peut verser une allocation mais ce n’est pas simple. C’est une des « fautes » du gouvernement américain.

Aux Etats-Unis, si tu as plus de moyens, tu sais comment chercher avec le gouvernement les différents services, et tu sais qui contacter.

Il y a des gens qui ne savent pas qu’il existe des solutions car ce n’est pas très clair. C’est à chacun de faire une recherche.

  • Revenons à votre stage. Qu’avez-vous commencé à étudier auprès d’Elise ?

J’observe comment elle entre en contact avec les enfants pour leur offrir des services d’orthophonie, comment fonctionnent les psychologues et les éducateurs spécialisés. Je prends des notes sur les différences entre la structure dans laquelle j’ai travaillé aux Etats-Unis et l’hôpital de jour André Boulloche.

J’ai fait les ateliers Goût, Lego, Narrativité et Attention.

  • Qu’attendez-vous de cette expérience à l’hôpital de jour ?

Continuer à être exposée aux différences entre l’orthophonie française, anglaise et américaine.

Elise et moi avons déjà parlé de cela. Je pense qu’il y a un vrai problème avec les diagnostics car ils ne sont pas compréhensibles. Aux Etats-Unis il y a des critères différents pour l’autisme qui sont différents de ceux en Angleterre et qui sont différents de ceux en France.

Un de mes buts ici est de voir et d’expérimenter les différences qui se manifestent.

Elise - Il y a peu de communication entre les pays. Concernant les enfants autistes, chaque pays fait à sa manière et n’a pas tant d’interactions. C’est vrai que puiser dans les différentes cultures, c’est trouver les techniques les plus adaptées à chaque enfant.

Jessica - Aux Etats-Unis, on travaille individuellement. J’aime beaucoup les activités en groupe à l’hôpital de jour. Il faut déjà s’asseoir à une table avec d’autres enfants, ne pas couper la parole, attendre son tour.

Une question demeure. Rééduque-t-on de la même façon le langage en anglais et en français ?

Elise Green - Ce ne sont pas les mêmes programmes utilisés par les orthophonistes en France et en Angleterre. Ce qui existe est très applicable à l’autre langue. Moi, très souvent, j’utilise des techniques anglaises que je traduis en français et vice-versa. D’ailleurs, j’ai beaucoup d’enfants bilingues avec lesquels j’intègre les 2 langues. 

  • Et concernant les difficultés rencontrées à l’écrit ?

Moi je ne travaille pas avec l’écrit du tout. Ça, c’est une différence importante. Aux Etats-Unis et en Angleterre, on ne travaille pas sur l’écrit en orthophonie. Ce n’est que le langage oral, les habiletés sociales, la prononciation.

  • Pourquoi cette différence avec la France ?

Je pense que pour le langage écrit, en France, on est habitué à ce que ce soit du domaine de l’orthophonie parce qu’on pense que c’est la communication alors que dans les pays anglophones, on prend le mot « communication » au sens d’interagir au quotidien. Donc, l’écrit, c’est quelque chose de plus scolaire. Ce sont les professeurs et les spécialistes de la dyslexie qui s’en occupent au sein des écoles.

  • Jessica, un outil, à date, que vous recommanderiez aux Etats-Unis ?

L’atelier Lego !

Elise - C’est une méthode anglaise. On a principalement observé que les enfants autistes sont attirés par les Lego dans une salle remplie de jouets. Ils ont créé un programme autour de ça. 3 enfants interagissent pour faire une structure de Lego. Un a les instructions, un autre a les blocs, le 3e doit construire. Ils doivent utiliser le langage seulement pour construire la structure ensemble.

  • Jessica, un dernier commentaire à l’issue de vos quelques mois en France ?

Aux Etats-Unis, on ne dit pas le mot « handicap ». On parle d’accessibilité ou pas. On est plus positif dans l’expression. C’est une différence culturelle et c’est important la façon dont on parle.

Elise Green tient à souligner que c’est un vrai sujet et qu’il est aussi évoqué au sein de l’équipe.

Jessica repartira dans son pays en août. Nous la remercions sincèrement de s’être prêtée à une interview dans une langue qui n’est pas la sienne, avec beaucoup de gentillesse et de spontanéité. Nous apprendrons certainement tous beaucoup de choses à son contact.

 

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